David Bobée : “Warm est un poème sonore dont les mots viendraient se mélanger aux corps.”
Scénographe, metteur en scène et directeur du Centre dramatique national de Rouen depuis 2013, David Bobée nous parle de son spectacle Warm qui se joue au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 5 janvier 2020.
Comment votre carrière théâtrale a-t-elle démarré ?
J’ai tout d’abord fait des études de cinéma, puis j’ai croisé le théâtre sur ma route. J’y ai trouvé des choses qui me semblaient plus nécessaires, réelles et créatives. Cela correspondait davantage à ce que j’avais envie de faire artistiquement.
J’ai commencé à apprendre mon métier en mettant en scène des acteurs qui connaissaient bien le théâtre alors que je le découvrais. J’ai étudié qui ils étaient, leur corps, leurs déplacements, ce que signifie le fait d’être un être humain sur un plateau… Cela m’a conduit à m’intéresser à la chorégraphie puis au cirque. Aujourd’hui, je monte à la fois des textes de répertoire, des textes contemporains, des spectacles non textuels, des spectacles de cirque, de danse, des opéras… Chacune de ces disciplines sont des outils qui me permettent d’exprimer ma ligne directrice qui elle-même n’est pas formelle.
Comment est né Warm ?
L’idée de Warm m’est d’abord venue en étudiant, à travers leur discipline, les acrobates Alexandre Fray et Frédéric Arsenault qui ont imaginé la performance acrobatique en 2008. Ce spectacle résulte de l’analyse de ce que signifie le fait d’être porteur et voltigeur, de leur relation l’un à l’autre qui dégageait extrêmement d’homosensualité sans pour autant avoir à la jouer… L’idée de lutte m’a aussi beaucoup intéressé. Je les voyais mettre de la magnésie pour ne pas glisser et s’éloigner des projecteurs dont la chaleur les faisait transpirer. Cela m’a inspiré car le principe même de l’art de l’acrobatie est de lutter contre des contraintes telles que la chaleur ou la gravité. Ces contraintes sont la base même de leur créativité. On a donc créé le dispositif scénique pour eux en essayant de chercher le vocabulaire physique qui pouvait se créer à partir des contraintes de la chaleur et de la sueur. J’ai ensuite demandé à Ronan Chéneau d’écrire un texte sur cette performance, un poème sonore sur le fantasme d’une femme dont les mots viendraient se mélanger aux corps, à la lumière et au son déjà présents dans le dispositif de recherche.
Depuis 2013, ce sont les acrobates Edward Aleman et Wilmer Marquez qui ont repris l’interprétation du spectacle Warm. Je les ai rencontrés au Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne. J’avais devant moi deux virtuoses avec une physicalité que je n’avais jamais vue ailleurs. Je les ai donc engagés par la suite pour de nombreux spectacles où ils étaient à la fois acrobates et comédiens.
Pourquoi avoir choisi Béatrice Dalle ? Est-elle une muse pour vous ?
J’ai une grande admiration pour Béatrice Dalle et je me lis en elle dans la façon qu’elle a d’affirmer sa liberté, de s’émanciper de toutes les assignations qui auraient pu être les siennes. Elle a réussi à devenir une icône internationale, à redéfinir ce que pouvait être la beauté sans rien céder à sa liberté. Elle s’est aussi émancipée des regards que portent les hommes sur les femmes libres depuis la nuit des temps et je suis très fier et heureux de l’accompagner sans avoir le moindre regard de la sorte sur elle.
J’ai fait appel à Béatrice Dalle car elle a une personnalité unique. Il n’y a pas besoin de la déguiser, de la dénaturer pour lui faire interpréter un rôle. Dans Warm, le texte est onaniste. Il n’y pas de narration donc pas de personnage. Elle doit tenir un poème sonore telle une maîtresse de cérémonie. Elle prend en charge l’homosensualité tandis que les acrobates sont dans une partition purement physique mise à l’épreuve de la chaleur.
Le rapport entre autorité et soumission étudié dans l’expérience de Milgram a-t-il été une source d’inspiration pour vous ?
Dans Warm, on se trouve, en effet, face à un jeu de pouvoir et de domination. Mais on est dans le monde de l’imaginaire, du fantasme, donc la femme incarnée par Béatrice Dalle n’a aucune raison de se limiter. Les hommes que nous voyons sont des émanations de son désir. Dès lors qu’elle les invoque, elle est dans un rapport de domination qui est poussé à l’extrême.
La référence est peut-être plus du côté de Salò ou les 120 journées de Sodome (1975) de Pier Paolo Pasolini dans lequel une maîtresse de cérémonie lit chaque jour un chapitre du Marquis de Sade.
Que représentent les miroirs dans cette mise en scène ?
Les miroirs répondent à plusieurs désirs scénographiques. Tout d’abord, ils permettent de multiplier les murs de projecteurs, ce qui accentue la sensation d’étouffement, d’encloisonnement et de chaleur. Ils évoquent d’ailleurs des images de désert et de mirages tremblant sur le sable brûlant.
Les miroirs servent également à étudier la discipline acrobatique et les corps sous différents angles. De plus, leur capacité à trembler avec le son participe au trouble du spectateur.
Enfin, le public peut se voir dedans. C’est un spectacle immersif qui ne fait pas uniquement appel aux sens habituellement requis au théâtre. On est dans un processus d’accumulation de mots qui vont se mélanger à la chaleur, à la sueur, à la lumière, aux vibrations. Ce tout va créer une sorte d’impression sur laquelle les spectateurs vont pouvoir bâtir leur propre lecture.
Propos recueillis par Clémence Mary
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