David Arribe : « Bergman ouvre à tous les possibles »
Après avoir crevé l’écran dans « Mes frères », l’une des révélations de ce très beau film de Bertrand Guerry, David Arribe brûle les planches dans « Face à face », créé aux Plateaux Sauvages et repris au Théâtre de l’Atelier. Rencontre avec un acteur qui a tout d’un « grand » !
2018 est un bon cru ! Déjà lauréat du Prix d’interprétation au Richmond International Film Festival (États-Unis), pour « Mes Frères », vous venez de recevoir le Prix du Meilleur acteur au Festival International du Film de Bruxelles, toujours pour le rôle de Rocco. Par ailleurs, vous avez également été récompensé de la médaille de la ville de Bruxelles.
Je fais beaucoup de théâtre et, avec Mes Frères, j’ai endossé mon premier grand rôle au cinéma. Alors, c’était vraiment inespéré. Je suis fou de joie. Ces prix, je les partage avec tous mes partenaires et surtout avec Thomas Guerry qui joue mon frère, et Sacha Guerry qui interprète mon fils.
Un film est un travail collectif ! Le scénario de Sophie Davout bouscule les codes et sort des sentiers battus. Les partis pris esthétiques de Bertrand Guerry sont très justes. Il a su transfigurer l’Île d’Yeu tout en captant son esprit, la puissance de la nature. Les paysages et les lumières traduisent bien l’état d’âme des personnages et les thématiques du film. Malgré les conflits et la mort qui plane, le film est un vrai hymne à la vie.
D’ailleurs, présenté dans une quinzaine de festivals, le film a raflé un second prix au festival de Richmond (USA) et terminé 2e de Cannes écrans juniors, un événement parallèle au festival de Cannes. Avec toute l’équipe, nous sommes si fiers de soutenir la FOP France-Maladie de l’homme de pierre dans ce film et d’en être les porte-paroles.
On suit justement le parcours du personnage principal, atteint de Fibrodysplasie Ossifiante Progressive. Qu’est-ce qui fait le sel de ce personnage ?
Le scénario est fondé sur les liens forts, délicats et singuliers des fratries. Avec Thomas Guerry, nous avons construit les personnages comme des frères siamois : l’un est atteint d’une maladie incurable, l’autre s’enferme dans le mutisme. Alors l’un et l’autre se prêtent mutuellement les muscles et la parole. Malgré les conflits, ils sont en parfaite cohésion.
Au-delà du handicap, le film traite surtout de la complexité humaine et de l’empêchement, des non-dits au sein des familles. Ce fut passionnant d’explorer comment Rocco phagocyte ses proches alors qu’il les aime profondément.
Comment avez-vous abordé ce rôle exigeant ?
Quand j’ai lu le scénario, il y a cinq ans, je suis tombé en amour. D’emblée, ce rôle m’a inspiré. Rocco est fracassé. Son dépérissement le fait passer de la colère au chagrin, en passant par l’amour immense. Exprimer tous ses états est un beau défi.
D’abord, je me suis documenté, de manière quasi encyclopédique. J’ai rencontré le petit Alexandre, un malade ou plutôt un guerrier lumineux. Il m’a très bien expliqué ce qu’il ressentait au plus profond de lui. Pour autant, je n’ai pas cherché à l’imiter. Pour éviter le côté « clinique », j’ai stylisé comme j’ai pu.
Ensuite, j’ai remodelé mon corps jusqu’à perdre 15 kilos. Cela m’a pris un an et demi. J’ai bien étudié mes postures, chaque geste et attitude. Rocco est une sorte de roi sans royaume, ce qui explique son port de tête, par exemple. Enfin, j’ai travaillé ma voix et appris à chanter pour incarner totalement ce personnage.
Y a-t-il un avant et un après Rocco ?
Indéniablement. Aujourd’hui, je ne suis plus le même acteur, ni le même homme. Rocco, je le porte en moi. Il m’a fait grandir artistiquement et humainement. Michel Bouquet explique qu’à chaque représentation, il entre sur le plateau flanqué d’une cohorte de fantômes, tous les rôles qu’il a interprétés !
Projetez-vous d’interpréter d’autres rôles d’écorchés vifs ou de fou sanguinaires ? Je vous verrais bien dans « Richard III » de Shakespeare…
On me l’a déjà dit ! Mais quoi faire de mieux dans ce rôle mythique que tant de grands comédiens ont interprété ? Je n’ai pas encore la nécessité d’incarner un tel personnage et pas suffisamment de bouteille, sans doute. Quand on est jeune, on doit creuser parfois profondément pour aller chercher ce qui fait mal. Quand on est vieux, on devient une éponge sur laquelle une légère pression suffit souvent. Donc, on verra dans quelques années.
De manière générale, j’aime les paris, car c’est exaltant de participer à des aventures qui grandissent grâce à un collectif. Et je souhaite avant tout éviter d’être dans le besoin ou dans une logique narcissique pour avoir la liberté de choisir.
Actuellement, vous incarnez Thomas Jacobi dans « Face à face », d’Ingmar Bergman, au Théâtre de l’Atelier, et vous donnez la réplique à Emmanuelle Bercot
Après les dernières répétitions au Théâtre 13, Leonard Matton vient effectivement de créer cette adaptation du film de Bergman aux Plateaux Sauvages, dans le cadre d’une résidence, et elle sera à l’affiche du Théâtre de l’Atelier à partir du 16 janvier.
J’y incarne l’exact opposé de Rocco : mon personnage est encore un écorché vif, mais mystérieux et pudique. Je suis donc plutôt en retrait et aux petits soins pour la psychiatre en dépression qu’incarne Emmanuelle Bercot. Une nouvelle expérience passionnante car Bergman ouvre à tous les possibles. Contrairement à Shakespeare, qui explore l’infini grand, lui décortique l’infini petit, en découpant l’âme au scalpel. Or, l’intime confine à l’universel.
Propos recueillis par Sarah Meneghello
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