Dans les forêts de Sibérie : un voyage spectral
Le comédien William Mesguich propose au Théâtre de la Huchette le récit du voyage qu’a effectué Sylvain Tesson en Sibérie dans une adaptation très réussie de Charlotte Escamez. Un spectacle de grand froid qui prend la forme d’une expérience fascinante magnifiquement écrite et incarnée.
Six mois dans une cabane au bord du lac Baïkal
Ce qu’il y a de merveilleux au théâtre, c’est que toutes les expériences sont possibles. William Mesguich est né la même année, 1972, que l’écrivain voyageur dont il se fait l’incarnation dans la cabane en bois qui lui sert de décor sur la petite scène du Théâtre de la Huchette. Carrure athlétique, regard bleu acier et chevelure de chevalier nordique, il nous embarque dans un voyage incroyable, celui que réalisa Sylvain Tesson en 2010 lorsqu’un camion le lâcha en pleine forêt sibérienne, dans une cabane chauffée au bois, avec quelques réserves de vivres et de la vodka pour survivre durant 6 mois, jusqu’au dégel de l’été. La solitude, le froid sibérien, le vertige de la lecture entre l’alcool à 40 degrés et le plat quotidien de poisson, le silence de la neige ou le bombardement tellurique de la tempête qui fait trembler les planches de bois de la pauvre habitation, de tout cela il sera question dans ce superbe récit, plein d’humanité, qui fut couronné par le Prix Médicis.
Vivre en ermite
William Mesguich se fait le conteur acteur de cette épopée, nous en faisant ressentir chaque émotion, chaque expérience, chaque danger et victoire. On le suit dans toutes les étapes de cet ermitage, loin des villes occidentales et du brouhaha des voitures, juste préoccupé à pêcher pour se nourrir, ramasser du bois pour faire du feu, conserver l’énergie physique et morale de marcher dans la neige comme un cosmonaute et savourer la percée du soleil sur le lac argenté qui ruisselle. Gorgé d’humour et d’aphorismes philosophiques, parsemé de références à la littérature, le texte est aussi terriblement actuel par son refus d’obéir au conformisme du désir omniprésent et des besoins fabriqués par la société de consommation. Jamais didactique, mais toujours sobre et poétique, cocasse et surprenant, poétique et virulent, douloureux et sombre parfois, le récit de l’écrivain trouve en son interprète une seconde vie magnifiée : l’écriture incarnée dans un présent vivace, offerte en partage aux spectateurs comme une expérience de vie et de sérénité. Superbe et nécessaire.
Hélène Kuttner
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