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Daniel Benoin, directeur d’Anthéa : « Il faut tirer les leçons des expériences qui marchent. »

©Philip Ducap

Avec sa chevelure léonine, le metteur en scène Daniel Benoin, dans le métier depuis 37 ans, est à la tête d’un des plus importants théâtres de la Région Paca, ce qui lui permet d’offrir au public une grande variété de spectacles vivants. Quelle est la recette d’un tel succès public et artistique ? Comment attirer le public, et le fidéliser ? Telles sont les questions que nous lui avons posées.

Voilà cinq ans, vous preniez la direction d’un théâtre flambant neuf sur la baie d’Antibes. Aujourd’hui, les chiffres parlent positivement, et le public ne désemplit pas.

-C’est assez étonnant pour moi. Il y a cinq ans, j’avais fait des calculs projectifs sur trois ans, en tablant sur 40 000 spectateurs. Nous accueillons aujourd’hui 135 000 spectateurs au bout de 5 ans avec 13 500 abonnés, ce qui fait d’Anthéa le premier théâtre de la Région PACA. Bien que fondamentalement optimiste de nature, je ne m’attendais pas à une telle réussite. Du coup, avoir un tel succès peut avoir des conséquences négatives : il nous fallait limiter notre déficit de création en remplissant les salles et en limitant notre équipe à 20 personnes. Nous étions dans la nécessité de fidéliser les premiers spectateurs.

Comment l’expliquer, dans un contexte de crise économique qui touche en premier lieu les structures culturelles et le spectacle vivant ?

-Ayant dirigé le CDN de Nice, je savais que le public état scindé en deux, de part et d’autre du Var. Je me suis toujours entendu dire qu’on ne traverse pas le fleuve. Cet adage se trouve contredit aujourd’hui, puisque le public d’Anthéa est à 40% originaire de la partie Est du Var, toute la partie qui était italienne, jusqu’à San Remo, et 60% à l’Ouest de Cannes jusqu’a Toulon, en passant par Antibes. Le public vient de loin.

Mais comment l’avez-vous fait venir ?

-Je pense qu’en tant que directeur de théâtre, on n’a qu’une seule grande idée que l’on développe sur le long terme. Cela fait maintenant 37 ans que je dirige des centres dramatiques, et ma seule idée c’est l’abonnement. Il faut abonner les spectateurs. C’est de cette manière que l’on peut les pousser à voir des spectacles qu’ils n’ont pas l’habitude de voir. Les théâtres sans public sont les théâtres sans abonnement. Il faut donc créer des formules d’abonnement avec des secteurs différents. En premier, une catégorie de spectacles très populaires avec des têtes d’affiches (24 spectacles sur 72), une catégorie ou je crée mes propres spectacles, puis deux autres qui sont des découvertes, sans vedettes. L’idée majeure est que le public se divise en 3 : 15% à 20% de spectateurs très pointus, 15% à 20% de spectateurs qui ne le sont pas, et au milieu tous les autres spectateurs. Ce que je cherche en permanence, c’est ramener les spectateurs du milieu vers les spectateurs plus passionnés, plus connaisseurs. Il faut faire en permanence de la pédagogie, d’autant que le territoire de la Côte d’Azur est très peuplé et que je travaille sur un bassin d’1 million 500 000 habitants. Nice est la cinquième ville de France donc la population est très diverse, il n’ y a pas que des retraités !

Vous aviez fait la même chose au CDN de Nice il y a quelques années ?

-Oui, j’avais 10 000 abonnés au terme de mes douze années de mandat. Certains spectateurs niçois m’ont suivi à Antibes, d’autant que pendant une période je dirigeais les deux théâtres et ai créé de passerelles entre les programmations, qui ne sont pas les mêmes. Globalement, j’ai toujours cherché à amener des gens au théâtre en les amenant à faire des découvertes, qui remettent en question leur première idée du théâtre. A Antibes qui n’est pas un CDN, je peux proposer une diversité où entrent aussi au programme 7 ou 8 spectacles du théâtre privé. Dans tous les cas de figure, l’abonnement est essentiel, car les gens doivent obligatoirement choisir un spectacle dans chacune des 5 catégories ! En réalité, ils en sont aujourd’hui davantage à 8 spectacles dans l’année ! Preuve que ce système fonctionne.

Pour la première fois, à Antibes, vous vous retrouvez sans l’Etat dans la gestion de votre théâtre. C’est facile ?

-Je me retrouve sans les subventions de l’Etat, mais avec celles de la Communauté d’agglomération Sophia-Antipolis et du Conseil Départemental des Alpes-Maritimes et de la Région Alpes-Côte d’Azur. Mon public est un public de niveau socio-économique plutôt élevé, ce qui est une grande chance. De plus, les subventions n’ont pas baissé mais j’avais garanti à mes tutelles que je ne demanderai pas d’augmentation durant cinq ans. Aujourd’hui, avec 235 représentations par an, les subventions doivent augmenter. Ma chance, c’est d’avoir aussi pu choisir tout le personnel qui travaille dans ce nouveau théâtre. J’ai engagé une équipe de jeunes gens que j’ai totalement formés au métier, et qui ont permis aux projets d’avancer. Au bout d’un an ou deux, d’autres structures souhaitaient même les débaucher ! Et puis nous avons beaucoup de sponsors privés qui nous soutiennent. L’importance est non seulement financière, mais socio-culturelle : ils participent au développement de la culture.

©Philip Ducap

L’autre chance que vous avez eue, c’est le soutien du maire d’Antibes Jean Léonetti qui a fait construire ce théâtre.

-Oui, je pensais même au départ que le théâtre était trop grand ! 1200 places dans la grande salle, 250 dans la petite salle, c’est un lieu aux dimensions uniques. J’ai d’ailleurs agrandi le plateau et accepté l’idée d’un balcon qui réduit l’éloignement des spectateurs. Il y a deux restaurants que nous gérons en direct, et qui sont ouverts les soirs de spectacles. Après trois ans d’ouverture, nous commençons à faire des bénéfices. Et c’est très important que les spectateurs puissent bénéficier d’un parking et de restaurants, surtout quand ils viennent de loin. On me dit souvent qu’Anthéa est le théâtre de France qui offre le meilleur accueil du public et des artistes. D’abord parce que je suis présent les soirs de spectacles, et que la présence du directeur est très importante. Certains acteurs me racontent qu’en tournée ils jouent dans des théâtres mais sans la présence du directeur. Ce sont des directeurs qui ne sont pas des artistes, qui ne savent pas combien cette présence est rassurante.

Que pensez-vous de la situation du théâtre public aujourd’hui, et de la remise en cause de certaines subventions ? Faut-il inventer de nouveaux modèles ?

J’ai toute ma vie défendu ardemment le théâtre public, en étant très longtemps président du Syndicat des Directeurs de centres dramatiques. Aujourd’hui, je m’aperçois que les directeurs qui sont en place pensent avant tout que dans 3 ou 4 ans ils ne seront plus là. C’est un constat aberrant, dont le Ministère est en partie responsable. Ce qui fait qu’ils travaillent pour eux, alors qu’un directeur de structure doit travailler pour une population, et que c’est long. A force de changer les directeurs au bout de leurs mandats, les gens n’arrivent à rien faire, sinon à travailler pour eux-mêmes. C’est stupide ! Un directeur de centre dramatique doit être un artiste au milieu d’une population ! Et non quelqu’un qui fait ses créations et au bout de quatre ans s’en va. 

C’est donc le système de nominations qu’il faut changer ?

-Je pense qu’il ne faut pas de sytème. Il faut tirer des leçons des expériences qui marchent. Le Ministère multiplie les appels à candidature en faisant se succéder les directeurs. Or cette idée là est fausse, pour la bonne raison qu’il n’y a plus de gens qui attendent ! On a dégoûté d’une certaine façon les candidats potentiels. Il y a 20 ans, j’ai proposé de former les futurs directeurs de centres dramatiques. C’était la seule chose à faire. Malheureusement, l’Etat ne l’a jamais voulu. Aujourd’hui, on tente de convaincre les candidats à diriger des structures ! Un jeune metteur en scène talentueux n’est pas forcément un bon directeur de théâtre. Pour moi, diriger un théâtre, cela ressemble à diriger un supermarché. La complexité est la même. Mais cela s’apprend. 

Un centre dramatique doit-il toujours être dirigé par un artiste ?

-Oui, c’est capital. Mais il lui faut s’inscrire dans le tissu social tout en menant ses créations. C’est un énorme travail de fond. Le public d’Anthéa a une moyenne d’âge de 39 ans. Les jeunes sont le public de demain. 

Vous êtes un homme heureux ?

-En doute permanent ! Mais heureux ici, comme un Alsacien dans le Midi.

Hélène Kuttner

 

 

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