“Dämon” : Angélica Lidell incendiaire du Palais de Papes
En ouverture du Festival d’Avignon, dans l’immense cour du Palais des Papes, la sulfureuse espagnole Angélica Lidell invite les spectateurs à une majestueuse cérémonie mystique en l’honneur des funérailles du cinéaste suédois Ingmar Bergman. Un geste d’amour théologique qui passe par l’offrande sexuelle et scatologique dont elle se fait la spécialiste, pour réveiller les morts.
Je suis Ingmar Bergman
Angélica Lidell est de retour au Festival d’Avignon. Celle qui fut nommée en 2017 Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres a déjà présenté au Festival d’Avignon plus de neuf spectacles, dans lesquels elle exprime sa souffrance et ses terreurs en écho aux violences du monde. Aujourd’hui, c’est le grand cinéaste Ingmar Bergman qui l’inspire, avec lequel elle partage les mêmes angoisses existentielles : solitude, peur de la mort, poids du péché religieux, rapport à la mère, amour destructeur. C’est en apprenant la manière dont le cinéaste a organisé ses funérailles, passant commande d’un cercueil identique à celui du Pape Jean-Paul II, qu’Angelica décide de son spectacle. Et voilà la Cour d’Honneur transformée en église, dont la grande prêtresse, Angélica, exhorte les Paroissiens, nous-mêmes, les spectateurs, à prier pour le salut de l’âme de Bergman et notre salut collectif. Pour autant, l’église théâtrale de l’artiste espagnole se colore d’un plateau rouge sang, bordé de chaque coté par une rangée de fauteuils roulants. Face à nous, au pied de la somptueuse façade gothique du palais pontifical, un urinoir, un WC et un bidet, placés sur une ligne de symétrie parfaite, qui nous rappellent que le monde d’en bas, celui des excréments et des lavements, celui de l’onanisme et des pulsions, est totalement lié au monde spirituel, selon Angelica et Ingmar.
Scatologie de l’âme
Il y aura donc des fantômes dans ce spectacle total, ceux de l’enterrement de Bergman qui viennent nous dire un dernier au revoir, entourant comme un chœur Angélica, définitive maîtresse de cérémonie. C’est tout d’abord un pape qui apparaît, Pie XII peut-être, qui trottine en traversant le plateau, jaugeant le WC. Les fenêtres du Palais pontifical s’illuminent et les vitraux anciens dessinent des ombres humaines. L’espace est magnifié, le sacré se mêle à l’insolite, la musique techno déploie des basses puissantes qui réveilleraient un mort, trois jeunes communiantes en robe blanche prient sagement derrière une fenêtre, et un acteur nain, à la tête d’un Joker, nez rouge et orbites noircies, nous fixe un long moment. C’est le silence qui précède la tempête : Angélica Lidell, en déshabillé de coton blanc ouvert sur son corps nu, les pieds sagement chaussés comme une collégienne, renverse le corps et se retourne, nous offrant son postérieur béant qu’elle lave précautionneusement à grande eau à l’aide d’une bassine en métal. Ce préambule passé, le corps lavé et purifié, elle se lance dans une violente diatribe envers les critiques théâtrales, coupables selon elles de vanité destructrice et mortifère. Cette lecture d’extraits de journaux et de sites, dont elle se saisit en invectivant lourdement les auteurs, crée un certain malaise mais surtout désamorce tout jugement sur son travail. Il y a ceux qui travaillent et qui créent, et ceux qui critiquent de leur bureau. Les seconds n’ont donc aucune légitimité.
La cathédrale Bergman
Ayant désamorcé et réglé violemment ses comptes avec la critique, comme d’ailleurs Ingmar Bergman l’avait fait en empoignant l’un d’eux par le col à l’époque, Lidell suit le chemin de son auteur fétiche qui, d’après ses Carnets, était en lutte depuis l’enfance avec des épisodes terribles de dépression, balancé entre l’image d’un Dieu terrifiant et celle d’un Dieu amour. De longs passages des Carnets ont trait à la prière et à la grâce, des passages qu’Angelica emprunte sans son spectacle. Pour l’occasion, elle réunit sur le plateau des comédiens issus du Dramaten, le Théâtre royal de Suède qui se mêlent aux acteurs français. L’image apparaît alors saisissante, faite d’un contraste entre la vieille génération d’actrices et d’acteurs, cheveux blancs et corps parfois abîmés, qui finiront sur des fauteuils roulants, poussés par les jeunes acteurs tout en noir, nez rouge, qui de temps en temps se déshabillent pour exhiber leur parties génitales. Apparaissent également de très jeunes comédiennes, blondeur et beauté céleste, qui se déshabillent aussi pour cajoler les vieux. La peur de la mort et la hantise de la décrépitude, obsessions de l’Espagnole, s’illustrent par une habile circulation des chaises roulantes et d’une civière, sur laquelle la star finit par échouer, après une course folle, précipitée entre la vie et la mort. La dernière œillade, accompagnée d’une cantate de Bach à plein volume, sera pour le public, en communion perpétuelle, au fil d’une cérémonie qui tente désespérément de batailler avec le démon de la vanité. Au final, c’est bien lui qui semble gagner.
Hélène Kuttner
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