Un Tartuffe contemporain à l’Odéon
Tartuffe Mise en scène Luc Bondy Avec Gilles Cohen, Lorella Cravotta, Victoire Du Bois, Françoise Fabian, Jean-Marie Frin, Laurent Grévill, Clotilde Hesme, Yannik Landrein, Micha Lescot, Yasmine Nadifi, Fred Ulysse et Pierre Yvon Du 26 mars au 6 juin 2014 Tarifs : de 6 € à 36 € Réservations en ligne ou Durée : 2h Odéon Théâtre de l’Europe |
Du 26 mars au 6 juin 2014
Le Tartuffe de Luc Bondy qui se joue aux Ateliers Berthier nous laisse un sentiment mitigé ; un portrait social et psychologique pertinent mais un ensemble très inégal, semé d’erreurs de débutant. Tartuffe, c’est l’histoire d’un parasite qui s’incruste dans une famille pour la vampiriser. Hypocrite, il dissimule son arrivisme et séduit le maître de la maison. Cette satire de Molière contre ces « faux dévots » qui hantent la cour royale ne se limite pas au fait religieux. Sa portée universelle a d’ailleurs permis à son auteur de la remanier à plusieurs reprises afin de déjouer la censure. Luc Bondy s’éloigne d’une critique anticléricale. Avec son style hippie, intellectuel bobo, arborant ses grosses lunettes noires, moustache, barbiche et de longs cheveux plaqués, Tartuffe emprunte plutôt les allures d’un « Monsieur je sais tout» frais émoulu d’une grande école. Prêt à tout pour gravir l’échelle sociale, l’intrus rappelle ces pervers narcissiques, gourous modernes tant décriés par la presse. On peut lire en arrière-fond une peinture critique de la bourgeoisie actuelle, terreau qui voit prospérer ces prêches à double visage. Usant tantôt de séduction et de flatterie, tantôt de victimisation et de culpabilisation, le prédateur jouit d’une aura fascinante. Tacticien froid et intelligent, il évolue comme un poisson dans l’eau sur cet échiquier qui recouvre la scène. Il hypnotise peu à peu sa proie, pour l’isoler et mieux la dévorer. Orgon met à la porte et déshérite son propre fils au profit de ce parfait inconnu. Micha Lescot livre une interprétation géniale du personnage. Sa longue silhouette dégingandée, ondoie, telle une anguille habituée à passer entre les mailles du filet. Ses pieds nus, son jeu avec ses orteils, sa voix et son attitude mielleuses, suscitent du dégoût, un sentiment de viscosité, composent un être à la fois bizarre, intrigant et fascinant. Son regard fuyant, alors qu’il ne s’adresse jamais franchement à ses victimes révèle toute la perversion du psychopathe qui ne frappe jamais franchement mais toujours par derrière. Le décor conçu par Richard Peduzzi est superbe et le casting tape-à-l’oeil ; un très bel écrin pour un médiocre présent. Car l’ensemble de la mise en scène n’est malheureusement pas à la hauteur. Est-ce lié aux conditions d’urgence dans lesquelles la pièce a été montée suite au décès de Patrice Chéreau ? Jusqu’au troisième tiers, la pièce ne décolle pas. De nombreux passages demeurent plats et le texte de Molière ne s’entend pas. Des bruits parasites de couverts, des grincements de fauteuils ou de pas couvrent les paroles des acteurs à l’articulation déjà fragile. Heureusement, le tout finit par décoller, grâce à la synergie créée par le trio Gilles Cohen, Clotilde Hesme et Micha Lescot. Point d’orgue de la pièce, la scène où le mari est caché sous la table alors que Tartuffe convoite sa femme, hilarante, ne manque pas de piment… Jeanne Rolland A découvrir sur Artistik Rezo : [Visuels : Tartuffe ©Thierry Depagne] |
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