Corps à corps de désirs aux Bouffes du Nord
Dans la solitude des champs de coton De Bernard-Marie Koltès Mise en scène de Roland Auzet Avec Anne Alvaro et Audrey Bonnet Jusqu’au 20 février 2016 Tarifs : de 16 à 30 € Réservation Durée : 1h15 Théâtre des Bouffes du Nord M° La Chapelle |
C’est à une expérience assez fascinante que nous convie Roland Auzet dans le magnifique espace théâtral des Bouffes du Nord. Pénétrant sur le plateau circulaire dans une obscurité embrumée, le public équipé de casques audio s’immisce aussi au cœur des trois dimensions d’un “deal” entre deux personnages joués par Anne Alvaro et Audrey Bonnet sans pour autant connaître l’objet du désir.
“Que me veux-tu ?” Vertigineux dialogue que celui de Koltès, qui navigue entre les eaux poreuses de la gouaille et une sophistication extrême, tricotant de la dentelle lexicale sur une situation assez banale : un soir, dans une grande ville, à l’ombre des néons et des chiens écrasés, un dealer repère son éventuel client et l’entreprend. Que vend-il ? Que cherche le client ? Qui sont-ils ? Bien entendu, aucune réponse ne nous sera révélée par Koltès dont tout le dialogue explore la tension aiguë entre la quête et le refus du dévoilement de chaque personnage. Car dans cet entre-deux, dévoiler ce que l’autre désire équivaut bien à le tuer. Drogue, sexe ou autre chose, le tabou de l’aveu équivaut à perdre son âme. Liaisons dangereuses Il y a du Choderlos de Laclos avec ses Liaisons dangereuses dans cette suite un peu précieuse dont chaque mot vaut son pesant d’or. Des énigmes en pagaille se heurtent à des maximes philosophiques car toute transaction, tout commerce avilit l’autre en le déshabillant au sens propre et figuré. Le commerce, illicite, doit exciter le désir de l’acheteur et la balance se met d’emblée à vaciller entre deux orgueils, deux honneurs. Le fait d’avoir demandé à deux superbes actrices d’incarner les deux hommes accentue le sentiment d’ambiguïté et de doute. Par leur interprétation, Anne Alvaro, haute et solide silhouette brune au regard solaire et au manteau clair, joue sur l’échiquier de la domination par la séduction suave ; au contraire, Audrey Bonnet, capuche sombre et démarche chaloupée, est frémissante de révolte et de haine mêlée, craintive, effarouchée d’être trop vite éclairée. Une création sonore fantastique Pour mieux nous faire pénétrer dans l’intimité des personnages, de leurs affects et du battement de leur cœur, Roland Auzet nous plonge, avec un casque, dans une bande-son où les voix des comédiennes sont serties, comme des bijoux, par une instrumentation originale. La voix, le souffle, la respiration, l’emballement des émotions sont donc vécus en direct, en corps à corps, dans une tourmente calme, angoissante ou fiévreuse des événements. Alvaro, telle un violoncelle au timbre chaud et nuancé, module ses tonalités à merveille comme elle sculpte les propositions du dealer pour séduire son client. Bonnet, voix flûtée ou rauque, criant comme une bête capturée, ne devient qu’une plainte rageuse qui fait écho. Dans des lumières rasantes comme des lames, c’est magnifique. Hélène Kuttner [Photos © Christophe Raynaud de Lage]
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