Coronavirus : peut-on en rire ?
Le sujet est grave et pourtant la créativité, le scepticisme, voire la colère, s’expriment aussi par le rire. Caricatures, satires, stand-up confinés… Comment certains humoristes traitent-ils de la pandémie ? Avec une liberté d’expression très saine, c’est sûr. Faisons un petit tour sur la scène virtuelle du moment.
Survivre
Moins de poissons d’avril cette année ! Par crainte du flop, beaucoup sont tombés à l’eau. Difficile de placer les « blagounettes », dans cette ambiance « fin de monde », faut dire ! Mais certains humoristes n’ont pas autant oublié d’être drôles. Comme les musiciens, ils ont su trouver d’autres espaces d’expression. Plutôt que les balcons : les écrans. Spectacles annulés, tournées reportées… beaucoup ont tiré les rideaux. Des captations ont pris le relais et quelques-uns ont pris d’assaut les réseaux sociaux pour mettre en ligne des journaux de confinés, des impromptus, des capsules drolatiques.
Les théâtres privés parisiens sont nombreux à programmer des comédies ou one man show. Le réflexe était donc de se diriger vers les Théâtres parisiens associés, pour suivre leur actualité (dont le report des spectacles). On y découvre que le Théâtre Funambule Montmartre vient de lancer sa chaîne. Des spectacles tout public sont mis en ligne gratuitement à 21 heures, un jour sur deux (suivre le planning). Sur Internet, #CultureChezNous regorge également de comédies accessibles gratuitement en ligne.
Du côté du secteur subventionné, le Théâtre du Rond-Point – pour n’en citer qu’un – reste actif. #LeRondPointAvecVous permet de « réfléchir ensemble, égayer le quotidien » et garder le contact avec son public, habitué au Rire de résistance de son directeur Jean-Michel Ribes et ses acolytes. Les ressources numériques (captations, revues…) promettent d’heureuses surprises.
S’évader
Mais comment font les trublions isolés ? Certains intensifient leur présence sur Instagram. Lison Daniel s’y distingue. La comédienne caricature, entre autres, une bourgeoise catastrophée par le confinement dans un dialogue téléphonique hilarant : « un enfer de tous les diables ». Ce format court est d’une efficacité redoutable, avec une utilisation des filtres loin d’être anecdotique, un sens du rythme et une écriture qui ne manque pas de profondeur. Ses Caractères font effectivement référence au livre de La Bruyère, un ensemble de réflexions et de portraits de la noblesse du XVIIe siècle. Nul doute que ce succès va accélérer la carrière de cette interprète talentueuse, également scénariste.
Quel humoriste peut-il donc être inspiré par une pandémie ? D’abord, Mathieu Madénian s’est presque senti obligé de justifier ses publications, mais comme il se considère « futile », à côté de tous ceux continuant à bosser – soignants et autres – il fait son « boulot » à lui : dédramatiser. Alors, il raconte son quotidien de façon décalée. Cette dose de bonne humeur est un véritable antidépresseur.
Quant au suisse Thomas Wiesel, asocial et hypocondriaque revendiqué, il analyse finement l’arrivée du coronavirus en France et l’absurdité de la situation dans des formats plus longs : « Le coronavirus a débarqué pour de bon en Europe, mais j’ai pas appris de mes erreurs et je continue de faire des blagues dessus. On va tous mourir, de ça ou d’autre chose, donc autant se marrer jusqu’au bout. »
S’occuper
La mise en quarantaine est décidément une source inépuisable. Tandis que Marina Rollman, toujours aussi subtile, met à profit son intensité, Rosa Bursztein entame une cure de sébum et évoque ses problèmes de libido. Belle découverte que cette trentenaire féministe sur les bords, inspirée par les mots de Virginie Despentes et l’humour de Blanche Gardin.
La plupart se concentre sur l’absurdité du confinement, grossissent nos petits travers, pointent les contradictions humaines. Mais quasiment tous pratiquent l’humour inclusif, qui consiste à ne pas blesser des personnes ou certaines communautés, à éviter de perpétuer des clichés. C’est un rire avec tous, plutôt qu’un rire sur tous, histoire de prendre soin les uns des autres. Une des parades réside dans l’autodérision, mais c’est plus efficace quand le personnage n’est pas trop « fabriqué ».
Soigner
Quoi qu’il en soit, le rire est une excellente thérapie contre l’angoisse. Anne Hidalgo, a même indiqué, dans un communiqué (le 3 avril), qu’une soixantaine d’agents de la Ville de Paris est mobilisée pour appeler tous les jours et directement des personnes âgées isolées. La maire de Paris a aussi révélé que, grâce à une initiative lancée par l’actrice Elsa Zylberstein, des personnalités françaises, tel Franck Dubosc ou Gad Elmaleh, se joignent à cette opération inédite.
L’humour est un recul salutaire et aussi un formidable carburant. De quoi donner une bonne impulsion à Deligne, qui se définit comme un « dessinateur de presse et d’ailleurs ». En effet, de façon absolument pas officielle, celui-ci a détourné l’autorisation de sortie afin de réglementer le rire pour « motif de santé » ou « familial impérieux » !
Sensibiliser
Divertissement, exutoire, source d’énergie… l’humour permet aussi d’interpeler les gens. Il fait passer certains messages de façon plus digeste. Une bande d’humoristes, dont Marina Rollman, a relayé Le coronavirus, c’est sérieux pour l’Office fédéral de la santé publique suisse : « On fait des blagues, mais ça veut pas dire qu’on prend pas ça au sérieux. Notre personnel hospitalier est au front, aidez-les. Ce qui doit devenir viral, c’est le geste juste. »
Avec son clip Reste à la maison sur l’air de Y’a le printemps qui chante, Élodie Poux rappelle, à sa façon, les consignes pour limiter la contagion dans un petit clip de confinement. Rappelons que c’est l’une des premières à avoir fait rire – jaune – sur le sujet, dès fin janvier, lors de sa chronique sur Paris Première : « L’année du RAT devient l’année du SRAS ! ».
Bien plus tôt (en mars 2015), Florence Foresti nous faisait déjà mourir de rire dans Dominique Pipeau : Les épidémies, où elle se présentait comme une ministre de la santé pas tout à fait sous contrôle. La vidéo refait actuellement le buzz.
Peu extrapolent sur les sujets de société, il faut dire anxiogènes. Tom Villa, s’y frotte, avec beaucoup de talent : il évoque les difficultés de vivre en couple en plein confinement, mais nous alerte aussi sur une éventuelle panne d’Internet et présente les métiers qui vont exploser. Son zapping, avec Maxime Gasteuil, est également une bonne parodie des live Insta qui fleurissent, décidément, en ce printemps si particulier.
Blanche Gardin, elle, ne prend pas des pincettes. C’est la plus sarcastique, osant même « Il se la pète un peu le personnel soignant nan ? ». Certes, elle vit sa crise de la quarantaine. Le 3 avril, elle a célébré ses 43 ans de façon vraiment précautionneuse… Mais comme à son habitude (lire la critique de son dernier spectacle ici), elle revient toujours aux fondamentaux. Blanche Gardin n’oublie jamais de défendre, non sans ironie, la cause des sans-abris, réitérant ses appels à dons au profit de la Fondation Abbé Pierre.
S’engager
Pas de page blanche pour cette adepte de l’humour noir ! Ni pour de nombreux dessinateurs de presse, au cœur de l’actualité et des polémiques. À chaque crise, ils retrouvent un peu de leur superbe. La pandémie permet de le vérifier : le dessin de presse est en bonne santé. Leurs représentants croquent la mort, comme la vie, avec une créativité débridée. Les messages de leurs illustrations sont souvent percutants car simples. Les dessinateurs creusent facilement le sujet, car leur style est souvent mis au service de causes diverses (l’écologie, les animaux, les femmes, les enfants…), quand ce ne sont pas des anarchistes. De la profondeur, donc, mais tout en légèreté.
Au passage, saluons le travail d’un éditeur, Iconovox, qui vient de publier Traits engagés. L’auteur, Fabienne Desseux, est journaliste. Sa plume, trempée dans l’acide, révèle justement une vraie connivence avec les dessinateurs de presse. Associant ses chroniques à des dessins, elle a souhaité défendre un métier qui mérite d’être connu. Elle donne donc la parole à une quinzaine de dessinateurs pour dresser un « État des lieux d’un travail pas comme les autres ». Ceux-ci y parlent de leur métier, « une espèce en voie de disparition ». Autant de témoignages accompagnés, bien sûr, d’environ 150 dessins de presse.
Plutôt qu’un sevrage (d’humour), ne boudons donc pas notre plaisir. Soutenons les activités de ces amuseurs / bateleurs / lanceurs d’alerte, en attendant d’aller voir Emmanuel Chaunu, le seul dessinateur de presse à monter sur scène pour allier dessin en direct et humour décalé. Dans un « One Man Show unique et interactif », celui-ci allie humour, politique et dessin en direct avec, comme règles, l’improvisation et l’interactivité avec le public de la salle ! Tout ce qui nous manque aujourd’hui !
Sarah Meneghello
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