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“Copenhague” : dans le noyau de la bombe atomique

©LOeil-de-Paco

Au Théâtre de la Reine Blanche, l’acteur et metteur en scène Nicolas Vial monte la superbe pièce de l’auteur anglais Michael Frayn, qui avait remporté plusieurs Molière lors de sa création à Paris. Avec Stéphane Valensi et Julie Brochen, les trois comédiens nous plongent dans la terrible nuit de l’année 1941 à Copenhague avec les fantômes de la physique quantique moderne, Niels Bohr, le savant danois, son épouse Margreth et Werner Heisenberg, le physicien allemand. Un spectacle captivant comme un polar qui place chaque spectateur au cœur des enjeux et de l’incertitude scientifiques.

Mathématique, raison et passion

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Quel sens donner à une recherche scientifique ? Comment penser, projeter une vision de l’avenir à partir d’une expérience physique ? Quelle morale adopter en temps de paix ? Et en temps de guerre ? Le 6 août 1945, une bombe atomique de 3 mètres de long, contenant 64 kg d’uranium 235, est larguée avec un parachute sur la ville japonaise d’Hiroshima, suivie d’une autre bombe au plutonium, trois jours après, sur Nagasaki. L’explosion de ces deux bombes et leurs conséquences tragiques suscitèrent dans le monde un état de sidération totale. Dans le plus grand secret, à la demande du Président Roosevelt, et depuis le 17 septembre 1942, le Projet Manhattan réunissait des scientifiques, des techniciens et des industriels pour travailler sur l’élaboration d’une arme de destruction massive sous la houlette du physicien Robert Oppenheimer à Los Alamos en Californie. La décision d’utiliser la bombe est annoncée par le président Truman à Staline et Churchill en juillet 1945 lors de la conférence de Potsdam, ouvrant ainsi le chapitre de la Guerre Froide et de l’équilibre par la terreur. Elle inaugurait aussi la terrible possibilité pour l’humain d’assurer sa propre destruction.

Des fantômes refont le monde

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Michael Frayn réunit deux figures majeures de la physique quantique, une nuit à Copenhague, pour tenter de comprendre ce qu’ils se sont dit. D’un côté, le Danois Niels Bohr, l’un des créateurs de la physique quantique avec son modèle atomique et l’introduction aux théories des réactions nucléaires, Prix Nobel en 1922 et infatigable promoteur de la paix dans le monde. De l’autre, l’Allemand Werner Heisenberg, son élève, qui élabora le fameux « principe d’incertitude » en physique qui contredisait tous les principes de certitude de la physique traditionnelle. Dans les pas d’Einstein, il proclamait que l’on ne peut pas déterminer, à un instant précis, la position et la vitesse d’une particule en même temps. Le principe d’incertitude guidera aussi sa fulgurante carrière de scientifique car, très attaché à son pays, et contrairement à Einstein ou Schrödinger, il décide en 1933, lors de son Prix Nobel et de l’accession des Nazis au pouvoir, de rester en Allemagne et de collaborer. Pourtant, en 1941, en pleine guerre mondiale, Heisenberg décide de quitter l’Allemagne pour aller trouver son vieil ami Niels Bohr, coincé à Copenhague alors que ce dernier cherche à fuir l’invasion nazie en raison de l’origine juive de sa mère.

Un casting sidérant

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On l’aura compris, nul ne saura jamais ce que ces deux-là se sont dit durant cette soirée de 1941. Pourquoi Heisenberg cherchait-il à rencontrer son maître en physique ? Savait-il qu’il collaborait avec les alliés pour partager leur connaissances sur l’utilisation d’une éventuelle bombe ? L’auteur place les personnages sur l’échiquier du principe d’incertitude et laisse opérer leur trajectoires. Margreth Bohr, incarnée avec une très belle présence par Julie Brochen, veille au grain, met en garde son mari contre les mensonges et la possible mauvaise foi d’Heisenberg. C’est la voix de la sagesse, la voix d’une femme qui ne prend la parole que pour délivrer une vérité, hors de tout combat de coqs. Nicolas Vial campe Heisenberg, il en a le magnétisme, le vitalisme des champions toutes catégories. Au ski, en mathématiques, avec les filles, un champion doit gagner, parce qu’il va vite, parce qu’il comprend mieux que les autres. A l’opposé de cet éclat germain, Stéphane Valensi incarne puissamment Niels Bohr, avec la carrure et la posture d’un savant meurtri par l’Histoire en marche. Barbe poivre et sel, stature solide, il est celui qui associe la recherche avec le sens de la vie. Mais loin de céder au manichéisme d’un personnage contre un autre, l’auteur Michael Frayn louvoie, dévoile des détails gênants. Bohr en savait-il beaucoup plus que Heisenberg ? Et ce dernier n’a t-il pas consciemment caché certaines de ses connaissances sur la fission de l’atome afin de faire échouer la possibilité pour les nazis de construire une bombe ? Le spectacle multiplie les hypothèses et les pistes de manière énigmatique et haletante. On voudrait tout savoir, mais le principe d’incertitude brouille aussi les souvenirs. La mémoire n’est pas mathématique. Magistral.

Hélène Kuttner

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