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“Comme en 14” : la guerre n’est pas qu’une affaire d’hommes. C’est aussi celle de femmes remarquables, les Anges blancs !

Patrick duCome 7 mars 2019
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En racontant 14-18 et ce qu’y vécurent les infirmières, Comme en 14 est une pièce qui possède ses propres ressorts y compris comiques qui explosent au moment où l’on s’y attend le moins. Ici plus qu’ailleurs, les rires ne sont-ils pas des soupapes à émotion ? Quel est le quotidien de ces femmes dans cet hôpital de fortune, près du front où ont lieu les combats ? La guerre ici fait rage depuis trois ans…

Le rôle des femmes aura été primordial

Trois femmes, un homme, la veille et le jour de Noël. Le quotidien de ces femmes dans un hôpital de fortune, c’est le front proche où ont lieu les combats, c’est la guerre qui fait rage depuis trois ans nous raconte l’auteur, Dany Laurent.

Mademoiselle Marguerite (Marie Vincent), infirmière, de 50 ans ou davantage, “fait tourner la machine” comme elle le dit, jusqu’à l’épuisement. Elle est hyperactive et ne mâche pas ses mots.

Dans cette croisée de destinées évoluent également une infirmière amoureuse d’un soldat blessé, alité dans un des 129 lits préparés pour toutes ces Gueules plus ou moins cassées de la Grande Guerre ; une très jeune femme sensible et apeurée ; une comtesse aussi raide qu’un mousqueton d’artillerie modèle 1892 qu’accompagne son fils, posé là également, avec sa légère déficience.

À son rythme, un chirurgien traverse ce tableau, il a 90 ans, il est toujours actif, on comprend subitement que tous les autres médecins sont à la guerre.

Un hommage à toutes ces femmes exemplaires

Le contexte est posé comme l’indique ce décor, la grande salle d’un hôpital de campagne réservée aux infirmières où il y a cette fenêtre qui, bien que fermée, laisse entendre les assourdissantes explosions des obus de 14. Cette unité de lieu laisse apparaître une porte ouverte vers l’extérieur d’où arriveront les brancards et montre un sas qui court vers les dortoirs dans lesquels les Poilus* couchent avec leurs terribles souffrances.

Yves Pignot, metteur en scène, le précise : “Cette pièce est avant tout un hommage à ces Anges blancs et aux femmes en général, qui savent se montrer fortes, unies et courageuses dans l’adversité. “Seule une vie vécue pour les autres vaut la peine d’être vécue”, conclut-il en reprenant cette maxime d’Albert Einstein.

La Première Guerre mondiale a expédié les hommes au combat. Mobilisés, ils sont partis dans l’urgence, contraints d’abandonner famille et travail. Yves Pignot poursuit : “Les femmes les remplacent. Elles ont été exemplaires, elles n’avaient pas le choix, elles sont devenues cultivatrices, ont élevé les enfants, accompli bien d’autres tâches : ouvrières, conductrices de bus, d’ambulance, de camion… Elles ont tout fait. Pour certaines, elles sont venues en renfort, bénévoles, pour soigner les malades, accueillir les blessés. Elles l’ont fait. On les surnommait les Anges blancs.”

Nous sommes en guerre, faut faire avec !

Marie Vincent joue, librement, allant d’une situation à l’autre avec beaucoup d’assurance et d’aplomb. Elle nous emporte avec fougue dans le sillage de cette infirmière au profond dévouement dont l’efficacité est palpable. Par son jeu de comédienne, elle nous renvoie par diverses postures à Annie Fratellini ou Pierre Étaix avec lesquels elle a travaillé à l’École du Cirque.

Elle a reçu le Molière 2004 pour son interprétation de Madame Marguerite.

Sa façon de nous faire passer de la gravité d’une affligeante situation – “nous sommes en guerre, faut faire avec” – à la légèreté de réflexions vraiment drolatiques nous fait nous poser la question : “Et pourquoi ne rirait-on pas, bien qu’il s’agisse d’un sujet grave ?” Toutefois, nerveux sont les rires puisque, évidemment, vous le comprendrez, la souffrance est partout.

La paix, on ne parle pas de ça en temps de guerre

En racontant la guerre et ce qu’y vécurent les infirmières, Comme en 14 est une pièce qui a ses propres ressorts comiques. Prenez Suzy (Ariane Brousse y est parfaite), la trentaine, bénévole. Cette jeune fille moderne seconde l’infirmière en chef. Engagée dans les mouvements pacifistes, elle est révoltée contre la bêtise des gouvernants et rêve d’une révolution sociale. Elle veut agir, ce à quoi elle s’entendra rétorquer que “la paix, on ne parle pas de ça en temps de guerre. Faut garder ses idées pour soi !”.

Près d’elle est Louise (Katia Miran, tout en fragilité), aide-infirmière, jeune stagiaire d’environ 20 ans. Issue de la grande bourgeoisie, elle vient donner de son temps, aider comme elle le peut et attendre. Attendre le retour de son fiancé qui a été envoyé au front, dans cette zone de combats violents de laquelle elle s’est rapprochée.

La solennité hiératique de la comtesse Adrienne

Virginie Lemoine est la comtesse Adrienne, la cinquantaine, aristocrate, veuve de guerre, deux enfants : Pierre (délicat Axel Huet), léger attardé mental, admiratif de son grand frère Henri, son modèle qui, dans cet hôpital, reçoit les soins intensifs de ces quatre femmes de générations et de cultures différentes réunies par le rude hasard de la guerre.

Adrienne le dit, “la vie, la mort, cela tient à un fil”, elle s’adresse à l’infirmière en chef dont on comprend que c’est sur elle que repose le fil conducteur du récit ainsi que tout le fonctionnement de l’hôpital de campagne.

Virginie Lemoine reste une surprenante comédienne. Quand on pense qu’elle est née au berceau des humoristes, serait aveugle celui qui ne verrait pas dans son parcours qu’elle est une tragédienne. Dans Comme en 14, elle tient même de la tragédie antique. Elle est nuancée dans ses sentiments. Elle peut donner à la solennité hiératique de son personnage, la comtesse Adrienne, femme de haute condition (comme on le disait), l’apparence de la plus grande sévérité jusqu’à jouer du mépris pour les gens de peu (comme on le disait bis). Ensuite, qu’elle se dévoile quasi hystérique pour déverser une avalanche de mots les plus effroyables jusqu’à la brutalité contre Suzy, c’est logique, cette souillon est militante pacifiste.

 Patrick Ducome

 *Un peu d’histoire : Molière et les Poilus

Ce mot ”poilu” faisait partie de l’argot français et désignait une personne courageuse, virile. Il provient d’une expression bien plus ancienne qui est ”brave à trois poils” qui était énoncée par Molière (1622-1673). Il l’utilisait également pour signifier un homme faisant preuve de beaucoup de courage. C’est donc pourquoi les soldats de 14-18 étaient surnommés “les Poilus”.


Virginie Lemoine – Interview

 Jour de relâche, c’est la Normandie qui la happe. Dès la représentation du dimanche achevée, juste le temps de sauter dans un train, elle reviendra lundi soir.
Virgine Lemoine aime la nature, le spectacle vivant, la vie quoi !

Comment appréhendez-vous vos personnages et celui de cette comtesse très début de siècle ?

Je m’en dépatouille ! J’aime ce verbe. Philippe Noiret me disait toujours cette phrase “comment vas-tu te dépatouiller ?”. Pour la comtesse, je dois dire que j’ai été assez bouleversée par l’écho qu’elle me renvoyait. Je revoyais ma grand-tante qui fut si amoureuse de mon… grand-père [sic !]. Je m’en suis inspirée pour mon rôle. Mon frère me dit de son côté que la comtesse lui rappelle notre mère. Bref, rien n’est neutre mais je m’en dépatouille. Voyez-vous, il convient de parlementer avec son personnage. C’est ce que j’ai fait. Il faut l’incarner. La comtesse, je l’ai aimée, je l’ai comprise, elle n’est pas très éloignée de moi. Je me répète, ma tante m’a inspirée et j’entends également une petite musique, celle de ma mère, en effet. Je peux l’affirmer, au théâtre, il est nécessaire de donner raison à son personnage, sinon on ne peut pas le jouer.

Cette femme, Adrienne, n’a que des déconvenues : elle a perdu son mari, elle a un fils gravement blessé désormais hospitalisé, un autre qui développe une forme d’autisme. Et la voilà confrontée aux velléités conjugales d’une petite sans grade, de plus une anarchiste qui prétend convoler avec sa progéniture. Même si son fils devait perdre une jambe, elle, en vraie mère, lui réserverait plutôt une relation à hauteur de leur milieu social. De plus, une roturière aurait tôt fait de se lasser d’un homme estropié qu’elle pourrait bien laisser tomber après les épousailles. En plus, avec ses idées révolutionnaires, elle fiche la frousse à tout le monde !

Pas envie qu’elle les compromette tous et les fasse fusiller.

Votre carrière a démarré sur les chapeaux de roues comme humoriste née sur les fonds baptismaux du comique et pourtant, au fil des spectacles que vous jouez, vous vous êtes imposée comme une vraie tragédienne.

Cela me flatte. Il est beaucoup plus facile de faire rire que pleurer. Souvenez-vous de Coluche qui surprend son monde dans Tchao Pantin. Du reste, on devrait tout jouer comme une tragédie. Faire rire exige de la rigueur. Donc, tragédienne, oui, il faut l’être…

Votre travail avec le metteur en scène ?

Yves Pignot écoute. Il comprend tout. Il est metteur en scène et comédien comme moi je suis comédienne et également metteuse en scène, cela aide et crée des liens étroits.

Vos projets ?

Je mets en scène pour Avignon [Théâtre Buffon à 16h25] Nos années parallèles de Stéphane Corbin. Un hymne à la vie, un hommage à l’amour parfait entre une mère et son fils. Je retrouve Valérie Zaccomer et Alexandre Faitrouni, deux comédiens qui jouaient dans 31, pièce que j’avais mise en scène (https://www.artistikrezo.com/spectacle/31-au-studio-comedie-des-champs-elysees.html).

Je fais également l’adaptation de Quand je serai grand, je serai Nana Mouskouri de David Lelait-Helo qui pose la question de la construction de soi au fil de l’enfance et de l’adolescence. Cette pièce nous parlera de notre quête d’idéal, de notre part de rêve, de la complexité de notre identité. C’est l’histoire d’un gamin fasciné par la chanteuse grecque qui a façonné sa vie, sa fantaisie, sa rigueur. Il voudra désormais rencontrer son modèle. [Théâtre du Petit Chien, Avignon, à 20h45]

Toujours à Avignon, je reprendrai Une Suite française d’Irène Némirovsky au Théâtre du Balcon [20h30]. Cette pièce ira ensuite à la rentrée au Théâtre La Bruyère [20h30] où les spectateurs pourront voir dès le mois d’août Tempête en juin toujours d’Irène Némirovsky [19h – Théâtre La Bruyère]. Ce sont deux pièces distinctes, deux récits indépendants !

Qu’écoutez-vous en ce moment ?

Toute la musique depuis Gustav Mahler jusqu’à Gérard Lenormand, avec mon coup de cœur en boucle L’Amour en cage de Patricia Carli. “Arrête, arrête, ne me touche pas”, oui, c’est elle !

Littérature  ?

Encore et toujours Irène Némirovsky !

Propos recueillis par Patrick Ducome

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