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Clément Poirée : “Le spectateur est le cœur battant de notre activité artistique !”

Élodie Pochat 14 octobre 2021
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© Ariane Mercier

Directeur du Théâtre de la Tempête depuis 2017, Clément Poirée est également le metteur en scène de nombreux spectacles, classiques ou créations originales, comme Catch ! qui se joue actuellement à la Tempête. En juin dernier, après une longue année de fermeture, il a accepté de répondre à nos questions…

Qu’est-ce que qui vous a donné envie de travailler dans le milieu du spectacle et de la mise en scène ?

J’ai un parcours atypique puisque je n’ai pas vraiment eu de formation théâtrale. C’est lorsque j’ai demandé un jour un stage à Philippe Adrien, mon prédécesseur au Théâtre de la Tempête, que j’ai découvert cet univers. J’ai commencé 3e stagiaire à la mise en scène, puis progressivement assistant à la direction. Je suis un enfant de la Cartoucherie.

Pouvez-vous nous présenter le Théâtre de la Tempête ?

Notre théâtre fait partie du site de la Cartoucherie (un site qui comprend plusieurs théâtres dont le nôtre). C’était à l’origine un lieu militaire qui stockait les cartoucheries. Il a été abandonné puis squatté par des troupes de théâtre. Le Théâtre de la Tempête est un théâtre d’accueil et de production. Concernant l’accueil artistique des compagnies, nous avons la particularité de faire jouer de longues exploitations. Pour réussir à bien s’approprier un lieu et en utiliser tous les atouts, il faut y jouer longtemps. Cela permet aussi de fédérer un nouveau public avec le bouche-à-oreille par exemple qui a plus le temps de se faire. Nous avons également nos propres productions : notre envie d’accueillir les compagnies est donc aidée par le fait que nous avons l’expérience très concrète de leurs problématiques (les différentes étapes de création, les moments de doute, d’excitation).

©Morgane Delfosse

Est-ce que la direction d’un théâtre est un accomplissement pour un metteur en scène ?

Mon expérience personnelle est particulière puisque je suis directeur d’un théâtre dans lequel j’ai fait mes tous premiers pas. Comme j’ai été à mes débuts stagiaire à la mise en scène, assistant de Philippe Adrien, mon prédécesseur, puis metteur en scène à la tempête, il y avait une cohésion dans la passation. Oui c’est pour moi un accomplissement d’une certaine manière. Ce lieu m’a tellement apporté ! Metteur en scène et directeur de théâtre sont toutefois deux métiers très différents avec des temporalités différentes, mais qui sont naturellement impliqués pour moi. Je trouve cela important d’être metteur en scène pour diriger un lieu car nous avons un regard particulier sur notre pratique. Laisser nos préoccupations au cœur de notre activité n’est pas évident. Pourtant il faut laisser au centre des théâtres les actrices, les acteurs, les praticiens… c’est essentiel !

Le théâtre était fermé au public cette année, mais est-il resté ouvert aux artistes, aux résidences ?

Oui, c’était très important ! Les théâtres ont été fermés AU PUBLIC justement, mais ils n’ont pas été fermés ! Même si l’absence de public était pour nous tous très triste, le travail ne s’est pas interrompu, excepté pendant le premier confinement. Des compagnies sont venues à tour de rôle s’installer et répéter, par exemple pour présenter leurs spectacles aux professionnels qui les programmeront peut-être lorsque ce sera de nouveau possible. Nous sommes une vraie ruche, tout en travaillant en bonne intelligence avec les conditions sanitaires. Il est possible de travailler dans nos espaces sans créer de cluster.

Quelle est la part du public lors d’une représentation ?

Quand on travaille sur un spectacle, on attend tout du moment de la représentation en public. Comment se fait-il, alors même que nous avons répété dans le théâtre toute l’année, qu’on se sente privé de notre activité artistique ? C’est parce qu’il nous manque un partenaire. Le spectateur est le cœur battant de notre activité artistique. Le fait d’en être privé nous fait ressentir plus fort que jamais à quel point il fait partie de la pièce. On n’est pas là pour venir donner une expérience au spectateur, on est là pour en partager une avec lui. On apprendra autant de choses de lui, on sera aussi surpris que lui.

Pouvez-vous nous donner un exemple de ce partage ?

Les spectateurs peuvent rire à des répliques auxquelles, malgré des semaines ou mois de répétitions, nous ne nous serions pas doutés, et inversement. Les répétitions se réfléchissent vers les réactions du public. Je ne crois pas à la répétition en soi. Cela voudrait dire qu’on peut aboutir à un spectacle fini alors qu’un spectacle change beaucoup en interne, selon ce que nous renvoient les spectateurs. Ils ont un véritable pouvoir sur la représentation.

Il y a eu beaucoup de captations cette année. Leurs multiplications ont engendré de nouvelles réflexions sur l’avenir du spectacle vivant. Quel en est votre point de vue ?

Je comprends qu’il y ait pu avoir des solutions, mais ce n’est pour moi que du court terme. Regarder des captations fait partie de mon travail puisque je ne peux pas voir tous les spectacles. Le théâtre est pourtant rétif à la captation car ce n’est pas une fin en soi. En cette période, on fait comme on peut mais je crois qu’il ne faut pas dramatiser du tout. Le théâtre ne court aucun risque. Si l’audiovisuel devait en finir avec le théâtre, il l’aurait déjà fait. Le spectacle vivant est vivant justement. Quand on est au cinéma, il n’y a qu’un seul moyen d’interagir avec le film, de le modifier par notre présence : c’est de percer l’écran. Au Théâtre, la représentation est modifiée selon la façon dont elle est perçue. Si on rit, la représentation a déjà un peu changé, ça change l’état d’esprit des acteurs et ça crée mécaniquement un rallongement de la pièce. L’humeur est différente s’il y a un groupe âgé, plus réflexif, par rapport à un groupe scolaire. Le théâtre, c’est la présence.

Est-ce que le Théâtre de la Tempête va rouvrir ses portes dès le 19 mai ou est-ce qu’il nous faudra patienter un certain temps ?

Nous avons fait le choix de nous tenir prêts systématiquement. Ça nous a permis d’être au rendez-vous quand il y a eu la réouverture en octobre dernier. Nous ouvrirons le 19 mai car des compagnies sont déjà prêtes, ont déjà monté leurs décors, ont envie de reprendre. Nous ne connaissons pas encore avec certitude les jauges, ce qui n’est pas évident pour la billetterie. Cela dit, en tant que théâtre subventionné, nous nous faisons un devoir de rouvrir, en accord avec les compagnies, par considération envers les spectateurs. On a beaucoup commenté le fait que les gens se soient sentis privés de leur activité sportive, bien sûr, mais de celles culturelles également ! Être spectateur c’est aussi une pratique, pour nous c’est essentiel de renouer avec cette relation.

©Morgane Delfosse

N’avez-vous pas peur que les gens ne reviennent pas au théâtre, du moins, pas tout de suite ?

Nous avons eu cette inquiétude en septembre dernier mais le public est revenu. J’ai fait la réouverture avec À l’abordage d’Emmanuelle Bayamack-Tam : à la fin du premier spectacle, les gens s’applaudissaient d’avoir été là ensemble, d’avoir fait communauté. Nous allons, par ailleurs, proposer cette année une programmation jusqu’à mi-juillet, alors que nous nous arrêtons habituellement en juin. Cela nous permet de faire jouer plus de pièces.

Est-ce qu’il y a pu avoir des créations cette année ?

Cela nous a paru essentiel pour soutenir l’activité de ne pas nous contenter de reporter la saison mois après mois, mais d’y apporter de nouveaux spectacles. Nous avons tout de même reporté 11 spectacles, soit l’équivalent d’une saison. Notre choix a été de réduire la période d’exploitation des spectacles à la Tempête pour partager le temps. Il y aura 10 créations lors de la saison prochaine. Cela permet de ne pas étouffer l’activité et de faire vivre le maillage des compagnies indépendantes en France qui font la diversité du paysage théâtral français. Pour cette saison bien remplie, nous allons compter sur l’appétit des spectateurs qui en redemanderont et sur leur grande attention, puisque les spectacles se joueront sur 10j-3semaines au lieu des 4 habituelles chez nous, mais les gens sont assez réactifs alors j’ai confiance !

Venez découvrir Catch !, le nouveau spectacle de Clément Poirée au Théâtre de la Tempête jusqu’au 17 octobre !

Pour accéder au site du Théâtre de la Tempête, cliquez ici.

Propos recueillis par Elodie Pochat

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