Clément Hervieu-Léger : « Avec Ivo van Hove, une incarnation à bras le corps »
Les Damnés De Visconti Mise en scène de Ivo Van Hove Du 24 septembre 2016 au 13 janvier 2017 Réservation au 01 44 58 15 15 ou en ligne Durée :2h10 Comédie Française Le Voyage en Uruguay De Clément Hervieu-Léger Mise en scène de Daniel San Pedro Du 31 août au 15 octobre 2016 à 21h Durée : 1h10 Réservation au 01 45 44 57 34 ou en ligne Lucernaire |
Dans « Les Damnés » qui ont fait l’ouverture du Festival d’Avignon dans la Cour d’Honneur, avant d’être repris cette rentrée à la Comédie Française, Clément Hervieu-Léger est Günther, le fils sensible, musicien, qui va finir comme les autres par basculer dans le nazisme par haine de son propre famille et par faiblesse. Mais le comédien est également metteur en scène de théâtre et d’opéra. Il vient de signer la création d’un éblouissant Monsieur de Pourceaugnac mis en musique avec William Christie aux Bouffes du Nord, qui va beaucoup tourner, et s’apprête à présenter en tant qu’auteur « Le Voyage en Uruguay », un monologue inspiré de sa propre histoire, fin août au Lucernaire à Paris. Au coeur d’un jardin ombragé d’Avignon, il s’est confié sur son aventure avec le metteur en scène flammand Ivo van Hove. Comment s’est déroulé le travail avec Ivo van Hove ? -Très simplement. Pour ce gros projet, les journées de répétition étaient relativement courtes, de 13h à 18h au Cent-Quatre à Paris. On a répété 5 semaines et demi, ce qui est peu, avec des interruptions, mais c’est la méthode de travail des Anglo-Saxons. Les Anglais sont capables de monter Shakespeare en 5 semaines, ce qui pour nous est impossible ! Avec Ivo, on a commencé le premier jour à la table, sans qu’il ne fasse aucun commentaire. Puis dès le deuxième jour, on a répété dans le décor, en costumes, avec les lumières et le son au Cent-Quatre, dans des conditions de travail très abouties et auxquelles on ne s’attendait pas. En France, on a l’habitude de travailler longuement à la table, puis de se mettre debout, d’ajouter progressivement les accessoires, le décor… Avec Ivo, on est d’emblée dans le cadre du spectacle qu’il a dans la tête. En même temps, il serait faux de dire qu’il n’est pas avec nous durant les répétitions. Ce n’est pas parce qu’il sait absolument ce qu’il veut que tout est écrit d’avance. Il prépare son cadre avant de répéter, dans la chronologie exacte des scènes, mais il s’adapte ensuite aux personnalités et aux corps des acteurs. Tous les comédiens ont donc plongé très vite dans leurs personnages ? -Exactement, et de manière extrêmement dense tout de suite. Il n’y a pas de place comme c’est souvent le cas en France, pour des discussions ou des atermoiements pour savoir si on le sent, si on va bien, etc. On a tous eu l’impression d’une concentration qui ressemble au travail sur un tournage : on est déjà en situation, ce qui nous oblige à une incarnation immédiate. On n’est pas dans un processus d’incarnation lente du personnage, on le prend à bras le corps d’emblée comme on le ferait au cinéma. En tant qu’acteur, mais aussi metteur en scène et pédagogue, cette manière de travailler vous a-t-elle plu ou au contraire décontenancé ? -Elle m’a beaucoup plu. Je ne suis pas fan des longues discussions dans le travail d’acteur et je me suis parfaitement retrouvé dans le travail d’Ivo. A la Comédie Française, on a l’habitude de travailler de manière différente avec chaque metteur en scène sur les productions, donc cela nous plait, contrairement à ce que certains laissent penser. Quoi de plus fantastique que de se fondre dans l’univers d’un metteur en scène, surtout d’un tel niveau ! Au delà même de sa notoriété, cela fait très longtemps que je n’ai pas rencontré un homme qui possède une telle science du théâtre. Il utilise tous les moyens actuels, vidéo, acoustique, effets spéciaux, au service du théâtre. Il ne fait pas du cinéma. C’était une découverte ? -Quand on est metteur en scène comme je le suis, on n’est confronté qu’à son propre travail. Il y a très peu de metteurs en scène qui vont découvrir le travail des autres. Pour un Jean-Pierre Vincent qui court tout voir dans le théâtre public, les autres ne voient que le travail de leurs proches. Ce que j’adore en étant à la Comédie Française, c’est que je suis confronté à des manières de travailler qui ne sont pas les miennes et qui vont nourrir le travail du metteur en scène. On en parlera après ma prochaine mise en scène, mais je suis certain que cette expérience avec Ivo van Hove sera déterminante pour mes projets futurs. Comment a t-il fait le casting des Damnés ? -C’est ce qui m’a le plus impressionné. Il ne nous connaissait pas mais il a beaucoup regardé les vidéos des spectacles de la Comédie Française, ce qui l’a conduit, avec Eric Ruf, à décider d’une distribution fascinante de justesse. Ce faisant, il a aussi réuni des acteurs très complices dans la vie, ce qu’il ignorait. Par exemple, dans la pièce j’admire beaucoup mon oncle Herbert joué par Loïc Corbery qui est aussi mon meilleur ami ! Quand on a des affinités de jeu sur scène, on en a aussi dans la vie. Mais c’est la même chose avec Elsa Lepoivre ou Guillaume Gallienne. Qui est votre personnage, Günther ? -C’est la deuxième génération de la famille von Essenbeck, le petit-fils du vieux baron Joachim joué par Didier Sandre. Ce qui est intéressant, c’est qu’avec son cousin Martin qui est joué par Christophe Montenez, ils forment les deux versants de la jeunesse, Günther représentant la pureté, l’innocence et l’amour de l’art, et Martin la face sombre avec des penchants subversifs. D’ailleurs, pour célébrer l’anniversaire du grand-père, l’un joue de manière très appliquée du Strauss à la clarinette basse et l’autre interprète Marlène Dietrich dans un numéro de cabaret. Tout est dit. Mais ce qui me passionne chez Günther, c’est le parcours : un exemple parfait de radicalisation. Au début, Günther est celui qui peut sauver le monde, par son amour de la musique et des livres. Quand il cite horrifié les auteurs des livres qu’on brûle dans les autodafés, où qu’il admire la liberté de son oncle Herbert, on ne se doute pas un instant qu’à la toute fin de la pièce il basculera du côté des Nazis, plein de haine et de ressentiment vis-à-vis de sa famille et donc de lui-même. Alors que le personnage ne fait que réagir aux événements, il prend soudain la décision de soutenir ceux qu’il détestait avant en se libérant de l’exclusion qui l’oppressait. Visconti montre très bien comment le dérèglement de la cellule familiale, l’absence de cadre sécurisant ou de bien-être peut conduire au désir fasciste ou terroriste, comme une réponse à de la frustration, du ressentiment. C’est pour cela que la pièce nous parle tant aujourd’hui, les mécanismes sont les mêmes. Et celui qui maîtrise le discours, Aschenbach (Eric Génovèse) peut convaincre le plus faible à basculer dans l’horreur. Durant le spectacle, les acteurs sont en permanence sur le plateau, et vont disparaître dans leurs tombes au fur et à mesure des meurtres. Mais le public, par moment en pleine lumière, semble participer à cette course vers la mort et la décadence. -Il y a dans le public au moment des saluts une ferveur incroyable, une reconnaissance, comme si les gens traversaient avec nous cette épreuve douloureuse. Et puis les comédiens du Français reviennent après 23 ans dans la Cour d’Honneur, mais pas avec Molière, dans un répertoire qui en étonne plus d’un. Il n’y a pas que la troupe de la Schaubühne qui est capable de passer d’un répertoire à l’autre. Ce qui se passe entre la troupe du Français et Ivo van Hove tient d’une vraie rencontre. Je n’ai pas rencontré un tel metteur en scène depuis Patrice Chéreau, dont la mort m’a rendue orphelin. Ivo partage cette même exigence. Est-ce que le fait que certains comédiens aient été choisis par Ivo van Hove et que les autres restent à Paris n’a pas suscité du ressentiment et de la jalousie ? -Curieusement non. Je n’ai jamais reçu autant de messages de soutiens et de mots d’encouragement que depuis que je joue à Avignon. Bien sûr qu’ils aimeraient « en être », mais ils sont aussi très fiers et heureux de l’accueil qui est fait ici à la troupe. Quant à moi qui sortais juste d’une mise en scène de Pourceaugnac aux Bouffes du Nord, me retrouver dans le lieu mythique de la Cour d’Honneur m’a fait vivre un présent assez magique. Hélène Kuttner Crédit Photos (c) Sébastien Dolidon et Christophe Raynaud de Lage |
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