Claude Duparfait fait revenir le jeune Thomas Bernhard à la Colline
Le froid augmente avec la clarté De Thomas Bernhard, un projet de Claude Duparfait Mise en scène de Claude Duparfait Avec Thierry Bosc, Claude Duparfait, Pauline Lorillard, Annie Mercier et Florent Pochet Du mercredi au samedi à 20h, mardi à 19h et dimanche à 16h Tarifs : de 10 à 30 euros Réservation en ligne ou par tél. au 01 44 62 52 52 Durée : 2h Théâtre National de la Colline |
Jusqu’au 18 juin 2017 Thomas Bernhard revient au Théâtre de la Colline à 13 ans, par le biais d’un spectacle conçu par Claude Duparfait à partir de cinq romans autobiographiques de l’auteur. Son passage traumatique dans un institut dirigé par un nazi en 1944, sa rébellion contre les études classiques, son amour pour un grand père écrivain et philosophe, c’est toute la jeunesse et la genèse de cette oeuvre unique qui se trouve explorée dans cette production polyphonique, jaillissante et généreuse portée par cinq merveilleux comédiens. Une jeunesse autrichienne « L’origine », « La Cave », « Le souffle », « Le froid », « Un enfant » sont les cinq romans qui ont servi de base littéraire à ce spectacle. Et si Thomas Bernhard, l’écrivain fétiche de Claude Duparfait, revenait nous visiter ? Que raconterait-il de son monde, de notre monde, des liens qui unissent un adolescent solitaire grandi dans l’Autriche annexée par les Nazis à l’Europe d’aujourd’hui, celle où nous vivons, pétrie de contradictions, de nationalismes revenus et d’angoisses collectives ? Le pari était un peu fou, mais le projet, mené avec une grande intelligence et une clarté qui ne mène jamais à la froideur, pour faire référence au titre, s’avère particulièrement réussi. Dans une scénographie sombre et belle, un petit bureau éclairé délicatement pour sculpter les visages, Claude Duparfait incarne l’écrivain adulte tandis que Florent Pochet l’adolescent angoissé et rebelle. Le contre-point fonctionne à merveille, tandis que Thierry Bosc campe le grand-père humaniste et érudit, amoureux de nature, de philosophie et de musique, qui sera le principal maître spirituel de l’écrivain. Un univers strié de paradoxes La deuxième partie du spectacle s’ouvre avec un éclairage qui vient du sol, des grilles métalliques d’où jaillissent une lumière blanche, celle de la révélation mais aussi de la terrible vérité du réel. Fuyant le placard à chaussures où il se réfugiait à 13 ans pour pratiquer le violon, délaissant les brimades de Grünkranz, le terrible officier nazi qui dirigeait l’institution et devait faire de lui un parfait petit Autrichien, le jeune Thomas prend la fuite. Il y eut les pensées suicidaires, celles qui conduisirent bon nombre de jeunes camarades de la salle de classe à la disparition honteuse, par pendaison ou défenestration. Cette mort, omniprésente dès l’enfance de l’écrivain, qui va tricoter sa vie de libre-penseur avec des cadavres en fond d’écran, passant de la croix gammée nazie à un univers aseptisé, réparé par la religion catholique. A Salzbourg en 1946, on oublie tout et on moralise sur une collaboration assumée avec les Nazis. Sur le plateau où s’éclaire un tableau rouge sang, le portait d’Hitler laisse place à une immense croix chrétienne. Polyphonie musicale et verbale La littérature de Thomas Bernhard est enflammée, injonctive, lancinante et puissante, en ce qu’elle se saisit des mots comme des gestes, des larmes, des rires, des provocations. C’est une langue de la révolte, de la jeunesse, de moquerie et de la lucidité avant tout, qui n’a peur de rien, quitte à essuyer la censure artistique et les insultes. Ce qu’il y a de très beau dans ce spectacle, c’est que cette langue s’incarne par le jeu généreux, brillant, émouvant des comédiens. Pauline Lorillard, double féminin du jeune Thomas, et Annie Mercier, qui accompagne Thierry Bosc dans le rôle du grand-père, sont les témoins porteurs de cette histoire, interpellant le public, de face, pour mieux le saisir, campant les affreux pauvres de Scherzhauserfeld, « enfer » de tous les rebuts de la société et où le jeune Thomas, tournant le dos à tous les espoirs de l’élite bourgeoise de Salzbourg, avait choisi de travailler comme apprenti. Suprême et courageux pied de nez aux fantasmes de sa famille, c’est cette rébellion, ce plongeon dans un monde misérable, assoiffé d’argent pour survivre, qui déterminera sa vie d’écrivain. Montaigne, Mahler, Mozart, Bruckner sont les compagnons de ce voyage et la fin du spectacle, qui pourra surprendre, est porteuse d’une vie réinventée à la lumière de cet humanisme, un espoir irradié par l’amour, une magnifique proposition de vie réinventée. Hélène Kuttner [Crédits Photos : © Jean-Louis Fernandez] |
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