Le Concert – film de Radu Mihaileanu
Humilié et possédé. Humilié par l’URSS trente ans auparavant et possédé par Tchaïkovski depuis toujours. Ancien célèbre chef d’orchestre du Bolchoï, Andreï Filipov (Alexei Guskov) en assure désormais la propreté des lieux. Pourtant, suite à un élément déclencheur fortuit, « le maestro » rêve à nouveau de sommets harmonieux en imaginant : « Le Concert ». Afin, entre autres motivations, de laver l’affront de la représentation interrompue à Moscou le 12 juin 1980 par Brejnev, qui lui a « coupé les ailes ». A l’époque, Andreï avait osé dire « non » au régime, défiant l’oppression antisémite menaçant ses musiciens juifs. Le scénario pourrait se contenter de cette résurrection artistique. Mais une critique cocasse des réflexes post-soviétiques, un récit intimiste tissé de non-dits et des transports musicaux ineffables insufflent au film une intensité cadencée et soutenue.
S’initie donc un périple rocambolesque, entraînant le spectateur des panoramas moscovites dominés par l’Université d’Etat de Moscou jusqu’au Théâtre du Châtelet. Lancé dans la reconstitution de son orchestre, Andreï parcourt les bas-fonds de la capitale russe ; escorté de son ami Sacha, violoncelliste reconverti dans l’assistance aux personnes. Une envoûtante ambiance slave, sonore et visuelle, défile alors au rythme de l’ambulance bringuebalante de Sacha : visages marqués par l’épreuve de la déchéance, scènes quotidiennes de la rue, marchés colorés, entrepôts désaffectés et, à l’apogée de la peinture sociétale, l’effervescence d’un camp tzigane.
Toutefois, en parallèle, l’intuition d’un malaise existentiel s’insinue progressivement dans les esprits. La prime défiance d’Andreï pour l’alcool induit ensuite des réminiscences de personnages ou d’événements insaisissables, réalisés en noir et blanc et à partir de plans troubles. Au dénouement de l’intrigue, cette technique accouche d’une conversation musicale éblouissante, semblable à une transmission lyrique transcendante.
Ailes retrouvées
Après le sublime « Va, vis et deviens » (César 2006 du meilleur scénario original), Radu Mihaileanu livre avec « Le Concert » un long-métrage octroyant une place considérable à la musique. Le réalisateur franco-roumain s’accorde également un double regard sur l’ex-bloc communiste. Celui, grave, de l’URSS qui interdisait les tournées à l’étranger de peur que les musiciens, une fois passés les frontières, réclament l’asile politique. Celui, ironique, sur les parvenus de la Russie moderne investissant dans des clubs de football, au détriment du répertoire classique.
Mais l’enjeu scénique reste la pierre angulaire de cet édifice cinématographique. La rencontre entre Alexei Guskov et Mélanie Laurent précipite définitivement l’action dans l’accomplissement symphonique. La voix cajoleuse de l’actrice s’approprie avec une irrésistible inspiration l’esprit, la sensibilité effrontée et la tendresse prêtée à cette violoniste. Pour laquelle un simple battement de cils s’avère comparable aux ailes retrouvées qu’elle offre à son partenaire. A demi-éclairée en permanence, l’acte musical ultime plonge enfin Mélanie Laurent dans la lumière. La lumière de la connaissance, de la vérité soudainement évidente. La soliste se cherche, se surprend elle-même. Puis, accompagnant le crescendo, une larme dans ses yeux se transforme en vague qui emporte l’assemblée au terme d’un final bouleversant.
Au profit d’un rapprochement avec le communisme, Andreï Filipov, « le maestro », explique : « Un orchestre est un monde ». Si Radu Mihaileanu n’enfante pas un monde, il dirige ses acteurs et sa partition avec brio. « Le Concert » réifie ainsi, par la musique, le syncrétisme de l’harmonie et du bonheur.
Cyril Masurel
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Le Concert
De Radu Mihaileanu
Avec Mélanie Laurent, François Berléand, Miou Miou, Alexeï Guskov, Dimitri Nazarov, Valeri Barinov, Anna Kamenkova Pavlova, Lionel Abelanski, Alexander Komissarov et Ramzy
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