Chez Bartabas, anges équestres et élégies burlesques
On achève bien les anges – Élégies De Bartabas Mise en scène de Bartabas Avec Bartabas, À partir du 23 octobre 2015 Tarifs : 21 € – 42 € Réservation Durée : 2h Théâtre équestre Zingaro M° Fort d’Aubervilliers |
À partir du 23 octobre 2015 On achève bien les anges de Bartabas, le nouveau spectacle du théâtre équestre Zingaro, est un chef-d’œuvre de poésie et de philosophie. Où les chevaux dansent le charleston, où les anges sont drôlement sexués et le diable perd de son latin. Ici, tous les rêves sont permis, à partir d’une chanson de Tom Waits : You’re innocent when you dream… Neuf écuyers-danseurs, trente-cinq chevaux, six musiciens et bien sûr Bartabas en personne interprètent des Élégies (l’autre titre du spectacle) incroyablement oniriques, grotesques et poétiques. Dans ce spectacle de deux heures, composé au bas mot d’une vingtaine de tableaux, le lien entre les hommes et les chevaux est bien sûr au centre, comme toujours chez Bartabas. Mais les humains portent ici des ailes, comme si nous étions tous nés avec un petit quelque chose de ouateux dans le dos. Le premier tableau met en scène une rencontre originelle. Lentement, les anges traversent un orage pour déchoir dans un autre monde, pas tout à fait sur terre, ni vraiment en enfer. Leur descente tient plus du voyage que d’une chute brutale. Après un atterrissage en douceur et à dos de cheval, on n’est plus vraiment au ciel, mais c’est tout comme. La fusion est chose faite, le voyage peut commencer. Ces Élégies ne sont pas empreintes de tristesse, mais d’autodérision tragicomique, comme dans tout bon spectacle de clown, comme l’univers grotesque des contrées artistiques d’Europe centrale, point de départ du voyage humain et artistique de Bartabas. Les six musiciens-pierrots sont une bande de bouchers burlesques aux corps difformes, jouant pour des anges qui sont fièrement sexués, mais peuvent aussi en changer ou incarner les deux en même temps. Paradis ou enfer, à nous de choisir Certes, le constat est vrai : on achève bien les anges. Mais on n’y serait peut-être pas obligé ! Il est encore temps, l’humanité doit choisir si elle veut vivre en harmonie ou en enfer. Voilà ce que nous rappelle Bartabas dans son entre-deux magnifique, où les chevaux savent danser le charleston et où l’on s’étonne après ce voyage de ce que tous ces spectateurs, eux, n’ont pas d’ailes dans le dos. Ces ailes s’y déclinent à volonté. On croise des plumes blanches et d’autres à la noirceur calcinée, pour passer d’une structure en paille aux os de squelettes à dos de cheval. Seul Bartabas n’en porte pas, qu’il fasse l’ivrogne, l’errant, l’éperdu… Plutôt du côté du diable, il avoue avoir perdu, lui aussi, sa boussole. Jamais Bartabas n’avait créé autant d’images pour un seul spectacle. Les tableaux sont brefs et se suivent sur un rythme soutenu, paradoxalement en phase avec notre époque. Pourtant, le propos de Bartabas n’est autre que d’opposer à un monde de plus en plus brutal une sorte de bouffée d’oxygène poétique. La virtuosité des chevaux dansants Jamais on n’avait vu, même pas chez Zingaro, une telle fusion entre le cheval et son écuyer. Après plusieurs spectacles de la troupe où Bartabas se tenait à l’écart, il retourne sous les pleins feux et fait danser ses bien-aimés. Sur les rythmes débridés de Tom Waits, tel cheval esquisse une sorte de charleston, tel autre un fox-trot, d’une virtuosité stupéfiante. Et on ne sait si le mouvement part du porteur ou de l’écuyer. La musique, le rythme et la chorégraphie gomment toute dichotomie. C’est un seul corps qui danse. D’autres auraient sans doute choisi Le Voyage d’hiver de Schubert, mais Bartabas maîtrise le second degré avec l’aisance de ces trente ans passés au plus près des chevaux, en débat constant avec son propre ego. Dans Élégies, on le voit se transformer, perdre son orgueil et finalement chuter, à travers une série de rencontres surréalistes. Anges gardiens, musiciens et chevaux prennent place ou tournent autour d’une sphère conçue sur mesure et très sublimement mise en lumière. Dans son immensité apparente, elle peut évoquer les grands déserts autant que des paysages hivernaux. Traversant ce trompe-l’œil brumeux, Bartabas se met au centre, mais ses apparitions prennent des formes inattendues, loin des fastes de la gloire héroïque. Images beckettiennes et espérances retrouvées Sur un cimetière nocturne, il campe un aveugle, guidé par son cheval, dans une image que seul Beckett aurait pu inventer avant lui. Ici, toutes les religions affichent leurs symboles, enfin réunies en paix. Mais il ne le voit pas et laisse échapper son cheval. Les univers sont sombres, parfois menaçants, mais toujours oniriques. C’est moins les religions que Bartabas commente que leurs rites. Sauf une fois : un ange nain fait face à des géants en burqa, aussi énigmatiques qu’inquiétants. Mais leur couleur est le bleu clair des Touaregs, au lieu du noir des salafistes. Dans chaque image se croisent la menace et l’espoir, le tragique et le burlesque, chacun comme un lointain souvenir. Et les contraires se réunissent dans une énergie nouvelle, pour atteindre un au-delà artistique où le réconfort est encore possible. Quoi de plus dépaysant aux alentours de Paris, accessible avec un ticket de métro, que le village en bois de Zingaro ? Il suffit de se rendre à Fort d‘Aubervilliers, pour entrer dans un autre monde, avec ses écuries, sa salle d’accueil et de restauration comme issue d’un conte tsigane, ses caravanes et ce qui reste de terrain vague. Chez Bartabas, on n’est pas seulement spectateur, mais voyageur et pèlerin. Thomas Hahn [Photos © Hugo Marty] |
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