Chaud ? Froid ? Cherkaoui ! Et il danse…
Noetic & Fractus V De Sidi Larbi Cherkaoui Noetic Fractus V Tarifs : 22 et 32 € Réservation au La Villette – Grande Halle |
Du 1er au 9 juin 2016 La Grande Halle de la Villette présente deux spectacles de Sidi Larbi Cherkaoui, qui sont on ne peut plus différents. Noétic, avec une vingtaine de danseurs du Ballet de l’Opéra de Göteborg (Suède), déploie une discrète élégance. Fractus V, pour cinq interprètes, déborde de chaleur et de vitalité. Et l’un des cinq est Cherkaoui lui-même. On n’a pas fini de découvrir Sidi Larbi Cherkaoui. Le chorégraphe installé à Anvers ne dirige pas seulement Eastman, sa propre compagnie (le nom étant une traduction de Cherkaoui – l’homme venu de l’Est), il est désormais également le chorégraphe du Ballet Royal de Flandres. C’est dire que le petit monsieur plutôt frêle est drôlement occupé et que son apparence fragile et timide cache un workaholic pur jus. Cherkaoui de retour sur le plateau Malgré ses multiples fonctions, il remonte lui-même sur scène, pour la première fois depuis Play, son duo avec Shantala Shivalingappa, créé en 2010. Ça se passe dans Fractus V, mélange dynamique de musiques “du monde” et d’inventions gestuelles graphiques et théâtrales, sous-tendu par des citations de Noam Chomsky qui analyse le fonctionnement de la société capitaliste (la “fabrication de consentement” par les médias, le travail, l’isolement qui empêche la prise de conscience collective). [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=qn5xXNb0v0A[/embedyt] Aucune autre pièce de danse contemporaine n’est actuellement acclamée avec autant d’enthousiasme que Fractus V de Sidi Larbi Cherkaoui. Aux saluts, le public fête les cinq danseurs et quatre musiciens-chanteurs comme des pop-stars. La recette de ce succès populaire : un mélange dynamique de musiques “du monde” et d’inventions gestuelles graphiques et théâtrales, sous-tendu par des citations de Noam Chomsky qui analyse le fonctionnement de la société capitaliste. Fluidité et violence Fractus V est un puzzle, un jeu chorégraphique où les mains, les bras et parfois les corps entiers s’articulent et s’assemblent selon des principes géométriques, dans une fluidité sans cesse relancée, une alternance de soli et de rencontres, où la souplesse de Cherkaoui fait le lien entre le hip-hop et le flamenco, pendant que des chants maliens sont portés par des airs indiens, tous bien sûr interprétés sur le plateau par des musiciens de choix. Et soudain, des scènes de violence, une guerre des clans, interminable matraquage, centuple meurtre à coups de feu… Les trois victimes, dont Cherkaoui, implorent le tueur, sans succès. Déjà, les photographes arrivent pour un shooting en direct. La simulation chorégraphique est d’une véracité foudroyante, jusqu’à maintenir un zeste de distanciation qui permet aux spectateurs de ne pas hurler. Ballet et maths Dans Fractus V, Cherkaoui renoue avec l’esprit des pièces qui ont fait de lui une vedette internationale. Mais la Villette présente ici également une autre facette, beaucoup moins connue, de son travail. Bien sûr, créer pour une compagnie de ballet fait partie de son avenir, avec le Ballet Royal de Flandres. Mais il a déjà l’habitude des grands ensembles de ballet, ayant créé pour les Ballets de Monte-Carlo, le Cullberg de Stockholm, le Ballet Royal du Danemark et quelques autres. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=wrpbhmzoGSo[/embedyt] Et voilà le Göteborgsoperans Danskompani, autrement dit le Ballet de l’Opéra de Göteborg, la plus grande troupe de ballet de Suède. Pour la création de Noetic, Cherkaoui leur a emprunté une vingtaine d’interprètes en toute beauté et de toutes sortes de nationalité. Pourtant, cette troupe est extrêmement homogène, non seulement en raison de ses costumes. Robes d’été pour les femmes et complets classiques pour les hommes. Rien que du noir et du blanc, un code couleur strictement binaire, en écho aux principes mathématiques qui ont inspiré cette création. Le design strict de Noetic contraste avec l’énergie débordante et la chaleur dégagée par Fractus V. Cherkaoui, qui aime tant jouer avec le désordre (et le déjouer), brille ici par une organisation stricte et limpide, sans jamais perdre le nord. On pense tout de suite au design scandinave, aux ambiances des pièces de théâtre du Nord : Strindberg, Ibsen… C’est presque glacé, mais reste toujours fluide. Souplesse et articulation, horizontale et verticale, trouvent un équilibre parfait. Un percussionniste japonais (Shogo Yoshii) et une chanteuse suédoise au timbre cosmique (Miriam Andersén) se relayent dans un dialogue avec la musique enregistrée (très belle œuvre de Szymon Brzoska) par l’orchestre symphonique de Göteborg. Mélomane mondialisé, Cherkaoui a encore une fois trouvé une possibilité de mêler les cultures dans une partition commune. Et les maths ? En solo ou à l’unisson, les danseurs scandent des extraits d’une conférence d’un certain Randy Powell – pas l’acteur américain, mais un jeune mathématicien ésotérique prétendant avoir trouvé “l’empreinte de Dieu” dans un modèle mathématique et géométrique basé sur le doublement. Si sa théorie fait ricaner la communauté scientifique, elle se prête formidablement comme inspiration chorégraphique : “Rien dans le monde physique ne se déplace en ligne droite : ni la balle de revolver, ni la lumière provenant du ciel. Tout se déplace en spirale…” Et voilà ! Antony Gormley : la plasticité mobile Cette mobilité ordonnée et pourtant si vivante n’est-elle pas l’apanage des danseurs ? S’y ajoute ici une scénographie mobile, manipulée en direct par les danseurs eux-mêmes. C’est Antony Gormley, le célèbre plasticien britannique, qui a conçu ces lames de carbone, légères et ultra-flexibles. Quand les danseurs les soulèvent pour former des tunnels, des conopées ou autres constructions symboliques, ils donnent vie à des principes mathématiques. L’ampleur des images est telle qu’elles feraient bonne figure dans toute cérémonie d’ouverture de Jeux Olympiques ou autres championnats sportifs. À la Villette, on en profite dans un esprit serein et harmonieux, comme le sport ne peut que l’afficher, superficiellement (hypocritement ?). Cherkaoui et les danseurs de Göteborg vont à la racine des choses, des atomes au dédoublement des cellules. L’harmonie et les unissons y trouvent tout leur sens. Thomas Hahn [Photos © Filip Van Roe, Bengt Wanselius] |
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