A Chaillot, un opéra dansé entre film noir et sacré
Dans « Initio [live] », danseurs, chanteurs et musiciens forment un ensemble, au sens fort du terme. Dès le départ, la chorégraphe Tatiana Julien et le compositeur Pedro Garcia-Velasquez ont conçu cet opéra chorégraphique dans l’idée d’une fusion totale, pour un résultat tout en finesse.
« Initio » sonne tel un début. Début d’un voyage, d’une aventure artistique ou spirituelle. La chorégraphe et le compositeur assument conjointement la direction artistique pour raconter, par le chant et la danse, sur un livret signé Alexandre Salcède, l’histoire d’un petit peuple errant, guidé par un ermite.
Figure-clé dans ce conte chorégraphique, l’ermite est au centre de l’aventure. Charismatique, discrètement illuminé, ce gourou brûlé par le soleil guide sa communauté à travers des déserts imaginaires, à la recherche d’un lieu sacré à créer, d’un abri où se forger un destin partagé et heureux, sous le regard direct d’une divinité que seul l’ermite sait désigner.
Un ermite bien trouble
Le contre-ténor Rodrigo Ferreira prête à l’ermite sa voix et son beau talent de comédien. Auto-missionné pour guider son peuple, il est tout aussi sensible aux apparitions erratiques de la Sybille qu’à son besoin de trouver confort spirituel. Et cette Sybille, comme son nom l’indique, est double, car dansée par Tatiana Julien et (en)chantée par la soprano Léa Trommenschlager.
L’errance et la quête d’un accueil spirituel ne sont pas sans rappeler la situation de départ dans Moïse et Aron de Schönberg. Mais dans Initio, la narration et le livret suivent d’emblée un fil dépouillé à l’extrême, et le drame n’arrive que quand on ne s’y attend plus. Jusque-là, le scénario cède la vedette à la musique et à la danse. Les présences, les chemins chorégraphiques et les sons : Tout emprunte les chemins d’un symbolisme qui fait songer à « Pelléas et Mélisande ».
Chœur et orchestre sur le plateau
Si la partition effleure quelques stéréotypes en musique contemporaine, elle trouve ensuite des voies plus personnelles, et s’ouvre finalement vers des éléments plus jazzy et une écriture plus personnelle, permettant à Ferreira d’étonnants changements de registre.
Mais pourquoi l’ajout du « [live] » dans le titre? Après avoir créé leur opéra chorégraphique sur musique enregistrée, il y a un an, au festival Instances de Chalon-sur-Saône, Julien et Garcia-Velasquez invitent ici un chœur et les musiciens de l’orchestre Le Balcon à aouter une strate supplémentaire à cette œuvre transdisciplinaire, d’autant plus que l’orchestre Le Balcon est bien connu pour concevoir la musique comme un langage scénique à part entière.
Clarinette, saxo, violoncelle, violon, contrebasse et synthétiseur deviennent donc à leur tour des acteurs, et les panneaux métalliques qui encadrent l’espace, leur répondent tels des instruments à percussion.
Danseurs et chanteurs en quête d’absolu
L’écriture chorégraphique oppose les solos enlevés de Tatiana Julien (La Sybille) au calme intérieur d’une danse proche de la prière, évoquant horizons et espérance. Les présences de Christine Gérard et Brigitte Asselineau sont précieuses. Chacune est un vrai monument de l’interprétation en danse contemporaine.
Leur différence d’âge avec les autres danseurs ainsi qu’avec Ferreira donne à ce minuscule échantillon de l’humanité un côté étonnamment universel, et à la chorégraphie aux gestes simples et dépouillés l’intensité d’une démarche intérieure et sincère, où se joue une rupture, un renouveau, une recherche de soi et d’absolu.
La traversée de ce désert imaginaire, sera-t-elle couronnée par la rédemption tant espérée? L’Ermite, tiraillé par ses envies terrestres, est guide spirituel et menace à la fois. Quand des désirs aussi extrêmes se rassemblent en une seule personne, apparemment d’un esprit calme mais non moins tourmenté, le cocktail devient explosif. Et l’ermite est armé! Initio commence en mode film noir, et se termine en drame. Pourtant les fidèles ne se détournent pas de leur gourou à la douceur si redoutable. Au contraire…
Avancer ensemble
Initio tire sa force de ce saut vers l’inconnu qu’est la recherche d’une source commune aux énergies artistiques, où danse, musique et chant avancent ensemble, comme les fidèles dans le désert. Si aucune discipline n’est mise en avant au détriment d’une autre, c’est vrai aussi pour les interprètes. Le but commun, le partage d’une souffrance et d’une espérance entre personnalités et générations différentes exige que les égos se mettent en arrière-plan, autant dans l’équipe créatrice qu’au sein du groupe de fidèles.
Chaque geste chorégraphique, chaque giration travaille le lien et le partage, un état intérieur commun et une pureté à l’inspiration cosmique. Pureté finalement trahie, mais pas vaincue. La suite reste ouverte. L’avancée ne peut résulter que du courage d’aller vers l’inconnu. A condition de ne pas se laisser abuser par un manipulateur…
Thomas Hahn
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