A Chaillot « Two, seul » met la danse sur briques
Deux musiciennes, un contreténor, deux artistes chorégraphiques européennes et un danseur burkinabè: A Chaillot l’étonnante Annabelle Bonnéry réussit un formidable tissage chorégraphique des cultures et des disciplines. Dans un bain d’argile et sur un tapis de briques, les vivants dansent avec les morts, sur le Stabat Mater de Vivaldi, revu pour violoncelle et accordéon.
Annabelle Bonnéry est une dure-à-cuire. Avec son corps d’athlète de haut niveau, la Savoyarde peut s’époumoner à danser en tant que serveuse, en servant le repas aux spectateurs qui dégustent l’art d’un grand chef du Jura. Mais c’était un autre spectacle.
Dans « Two, seul » elle prend un bain d’argile et sacrifie sa peau, littéralement. Sous ses pieds, la trame si ordonnée des pavés, destinés à la cuisson, se transforme en marécage. Elle frappe, elle danse, mais ses pieds tâtonnent et se posent avec difficulté. Tout est fait pour que Bonnéry perde l’équilibre. Mais dans sa chute, elle se transforme en grue et s’envole en direction de l’outre-monde, enroulée dans un linceul.
Danser sur un tapis de briques
Son passage vers un ailleurs mythologique ouvre la voie au couple Nuria Navarra – Romual Kabore qui danse sur un tapis de briques rouges aux contours évoquant le continent africain. L’Europe et l’Afrique se croisent sur ces pavés, dans une pièce où le chant, la musique, la danse, les arts plastiques et la recherche s’imbriquent en bonne intelligence.
Les deux danseurs, la violoncelliste, l’accordéoniste et le contre-ténor peuplent une terre d’Afrique imaginaire, en sautant toutes les frontières. La musique n’est pas burkinabè, la partenaire chorégraphique de Romual Kabore est catalane et le haute-contre congolais Serge Kaludji interprète sa propre adaptation du Stabat Mater de Vivaldi, accompagné par Marie Ythier au violoncelle et Fanny Vincens à l’accordéon.
Terre crue, terre cuite
Aussi « Two, seul » est le fruit de multiples rencontres artistiques, culturelles et humaines, faites lors d’une résidence de création à Ouagadougou, en octobre 2016. La pièce est nourrie d’expériences faites au Burkina sous une chaleur étouffante, où Bonnéry n’a pas seulement arpenté la poussière rouge des routes de campagne, mais aussi recueilli des impressions intenses d’un mode de vie en lien profond avec la terre.
Ensuite, elle a assisté à la cérémonie « des grandes funérailles » qui rend hommage aux défunts. Dans « Two, seul », elle aborde ce rite comme un rituel festif qui explore les relations entre la vie et la mort par toutes les facettes de l’amour. De la terre crue à la terre cuite, les morts peuvent ici danser avec les vivants, jusqu’à fonder un ménage à trois et nous sommes autant dans une cérémonie du Burkina que dans un requiem occidental.
Cuisson spéciale
Décidément, quand il s’agit de cuisson, Annabelle Bonnéry sait trouver les grands chefs. Les briques plates qui composent ce sol âpre et fragile sont cuites sur place selon un protocole développé par les Grands Ateliers de Villefontaine, en collaboration avec le plasticien François Deneulin qui signe la scénographie. Roses comme des flamants, ces pavés servent également à construire des ponts et des chaussées, à moins qu’il s’agisse de châteaux ou de palais.
Dans « Two, seul », personne n’est seul. Tout se fait ensemble, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’une seule entité organique. Les frontières se déplacent et deviennent transversales. Tout le monde occupe le centre d’une aventure commune. Grâce à la mobilité des humains et des briques, tout se déplace, se construit ou se reconstruit à volonté. Par le tissage des allers-retours entre les arts et les continents, « Two, seul » ouvre de nouvelles perspectives de partage humain et artistique.
Thomas Hahn
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