Ceux qui avaient choisi : un spectacle brûlant à la Contrescarpe
Ceux qui avaient choisi De Charlotte Delbo Mise en scène de Boris Herszbojn Avec Olga Grumberg, Gabriel Perez, Louve Reiniche-Larroche, Rainer Sievert Du lundi au samedi à 20h, relâche le 31 mai Tarifs : de 13 à 25 euros Réservation en ligne ou par tél. au 01 42 01 81 88 Durée : 1h15 Théâtre de la Contrescarpe |
Jusqu’au 14 juin 2017
Charlotte Delbo, qui n’avait pas choisi sa captivité dans les camps de la mort en 1943, avait choisi de résister, de se battre contre l’occupant nazi, tout en restant follement amoureuse de son mari Georges Dudach, condamné à mort en 1942 alors qu’ils étaient tous deux en prison. Plus tard, celle qui fut la secrétaire de Louis Jouvet n’a cessé d’écrire. Sa pièce « Ceux qui avaient choisi », composée en 1967, n’a été publiée que récemment. C’est un chef-d’oeuvre remarquablement porté à la scène par Boris Herszbojn et ses comédiens. Rencontre au soleil de GrèceLa pièce débute dans un café d’Athènes, par une rencontre. Nous sommes vingt ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Françoise, interprétée par Olga Grumberg, se fait élégamment aborder par Werner (Rainer Sievert), un spécialiste de l’histoire de l’antiquité grecque. Lui est Allemand, et fut soldat dans la Wehrmacht. Elle est française, et fut déportée après avoir été engagée dans la Résistance. Alors qu’elle est en train de lire un ouvrage écrit par Werner, ce dernier engage la conversation, d’abord badine, pour ensuite découvrir l’histoire de Françoise. C’est cette conversation, à bâtons rompus, sur l’Histoire, celle de l’Allemagne avec la montée au pouvoir d’Hitler et d’un peuple fanatisé, celle de la France, pays soumis à l’occupant nazi, et celle de deux êtres pris entre les tenailles de cette grande histoire qui nous est racontée sur le plateau. Comment un jeune Allemand pétri d’art et d’histoire en fit un refuge onirique au point de ne rien voir et de collaborer passivement à la barbarie ? Comment une jeune femme, à l’idéal politique chevillé aux tripes, choisit de risquer sa vie, de mépriser le confort et finit en camp de concentration ? Une interprétation bouleversante L’écriture de Charlotte Delbo, qui s’inspire largement de sa propre vie, notamment lors de la scène poignante où elle doit dire au revoir à son mari dans la prison où ils étaient tous deux captifs, possède une énergie vitale hors normes. Les dialogues qu’elle tisse entre ses personnages, qu’elle démultiplie à travers la vision de Françoise jeune, à 20 ans, avec son mari, sont pétris de sensibilité et d’humanité, sans jamais s’alourdir de pathos. Olga Grumberg et Rainer Sievert nous plongent dans les affres des contradictions existentielles, en traquant la valeur de la sincérité, de l’engagement, de l’amour, et de l’orgueil. Werner poursuit Françoise, peut être pour alléger sa culpabilité d’Allemand. Il en tombe éperdument amoureux, la traque dans ses moindres replis, justifie toutes ses errances, tous ses compromis. Mais elle ne ploie jamais, durcissant une carapace constituée de larmes et de déchirements. Faux-semblants, mensonges, petits arrangement, la vie quotidienne, sociale, sentimentale, est passée à la moulinette d’une exigence absolue. « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » En reprenant cette phrase de Victor Hugo, Françoise fait revivre le combat mais aussi la tendresse, l’intelligence et l’engagement de Charlotte Delbo. Louve Reiniche-Larroche et Gabriel Perez, jeunes comédiens, sont bouleversants dans la scène d’adieu de la prison, et il faut saluer la délicatesse de la mise en scène chorégraphique de Boris Herszbojn et son regard attentif sur ses acteurs. Circulant, glissant sur le petit plateau du théâtre, avec juste deux chaises comme accessoires, les comédiens sont tous éblouissants de maîtrise, vivant leur personnage avec une profondeur impressionnante de justesse et de vérité. Ils nous disent, aujourd’hui et aux plus jeunes, que la vie déborde pour qui sait la saisir, vibrante, excessive, parfois inconfortable, incontrôlable, avec ses mots effrontés, irrévérencieux, directs, comme pouvait l’être ceux de Charlotte Delbo. Et c’est magnifique de les entendre chanter ainsi. Hélène Kuttner [Crédits Photos : © Fabienne Rappeneau] |
Articles liés
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...