Céline au Poche-Montparnasse, une flamboyante noirceur
Le spectacle, Céline, derniers entretiens, se compose de textes puisés dans les dernières interviews que le romancier accorda à des journalistes tels que Louis Pauwels ou Pierre Dumayet, peu de temps avant sa mort en 1961. Le flot verbal admirablement servi par Stanislas de la Tousche est fascinant, délirant et désespéré.
Le vieil auteur ne se lève que par fugaces instants de son fauteuil haut et cossu mais râpé par le temps. Lui-même est considérablement affaibli et mal vêtu, ayant volontairement abandonné toute coquetterie. Les cheveux sont blancs, le visage presque éteint et la voix posée. Le public ne voit à aucun moment les journalistes auxquels est censé répondre Céline et leurs questions ne sont pas même énoncées, mais tout coule comme si on les devinait et le comédien rentre totalement dans sa position d’auteur qui se prête docilement à l’entrevue. Il répond sans bouger, sur un plateau quasiment vide, si ce n’est une projection d’images en noir et blanc de sa propriété de Meudon, qui nous permet de le cerner dans son cadre quotidien. C’est donc dans une expressive sobriété que jaillit un vif torrent de réflexions où vont et viennent l’ambiguïté et la haine, le grotesque et le comique, l’insupportable et le brillant, qui peuvent tour à tour déplaire à l’extrême ou susciter la perplexité mais ne peuvent en aucun cas laisser indifférent.
Les sujets abordés sont dominés par la littérature, la politique et la médecine, puisque Céline exerça cette profession toute sa vie, ainsi que l’enfance, largement développée dans son œuvre. Céline ne cache nullement la nécessité du travail, convaincu que le talent ne suffit pas. Il ne s’enjolive pas lui-même et ne recherche ni les honneurs ni les louanges. Il assure qu’il ne veut pas être magnifique et en effet il ne l’est pas. Ses sinistres pamphlets d’avant-guerre suffisent à cet égard. Mais il n’empêche qu’il n’est pas une seule réponse de Céline sans un étonnant brio, un sens de l’analyse percutant et une capacité de synthèse fulgurante et cinglante. Le verbe est parfois terriblement amer, parfois à vomir ou à frémir. Tout y passe. Le déversement de fiel sur ses contemporains autant qu’un tendre et émouvant éloge à Villon ou Shakespeare.
Le comédien Stanislas de la Tousche, sidérant de ressemblance, ressuscite l’écrivain. Il a capté ses mimiques et ses modulations vocales, et son physique achève de le confondre avec cet auteur qui l’accompagne depuis longtemps et profondément. Il en rend toute la palette et toutes les outrances sans tomber dans la caricature. Il ne gesticule pas ni ne crie. Il montre, et c’est là sa force, que les jugements incisifs ou brûlants de Céline ne tiennent pas dans la colère ni l’emportement physiques, mais dans la formule et le choix des mots, pour lesquels il redouble de fantaisie et d’inventivité, quelquefois assassine. Les variations entre le génie et le délire passent de la grossièreté à la drôlerie ou à l’injure. Et c’est dans la continuité de ce flot calme et coloré jusqu’à l’insoutenable que se glisse soudain la douceur d’un “Mon p’tit…” quand passe un chien, un enfant ou une élève de son épouse Lucette qui donne des cours de danse à l’étage. Mais ce “Mon p’tit…”, aussi doux soit-il, s’élève sur des abîmes qui demeurent le cas Céline.
Émilie Darlier-Bournat
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