Catherine Hiegel et Scali Delpeyrat : monologues intimes
Dans Les règles du savoir vivre dans la société moderne, la comédienne Catherine Hiegel interprète une dame patronnesse à l’affut de la bienséance des mariages, veuvages et autres conventions sociales racontées dans un savoureux texte par Jean-Luc Lagarce. De son coté, l’acteur Scali Delpeyrat, Juif du Sud-Ouest, se confie dans un texte en forme de puzzle autobiographique étrange et captivant Je ne suis plus inquiet. Allez découvrir ces perles.
Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne
C’est un texte savoureux d’ironie et de drôlerie, concocté aux petits oignons par l’auteur de théâtre Jean-Luc Lagarce qui s’est inspiré d’un traité de bonne conduite de la fin du XIX° siècle, “Usages du monde” de la Baronne Staffe. Dans cet écrit, l’aristocrate énonçait par le menu les règles de tous les événements de la vie familiale, du baptême aux fiançailles, en passant par les noces d’argent ou le veuvage. Lagarce a piqué largement dans ce panier aux attaches rigides et désuètes pour le retourner à la sauce piquante et s’en moquer avec un subtil et jouissif décalage. Catherine Hiegel, subtilement dirigée par Marcial Di Fonzo Bo, nous accueille dans une grande salle à manger emplie de tables rectangulaires, baignée d’une lumière blonde. L’actrice, sérieuse comme une papesse, est vêtue d’une robe noire et d’un col Claudine blanc. Perfide, d’un pragmatisme mêlé de cynisme, elle abat ses cartes comme des vérités évidentes, argumente sur les bienfaits des règles et l’inutilité du sentiment, ironise sur la naïveté des jeunes gens, célèbre la liberté des veuves et se moque de la mysogynie des préceptes millénaires à la lumière de la poésie de Victor Hugo. La comédienne est royale, sans âge, comme revenue de tout. Elle emballe son public avec un punch et un bagout unique.
Au théâtre du Petit Saint-Martin, jusqu’au 31 décembre 2021
Je ne suis plus inquiet
Scali Delpeyrat est un acteur de théâtre et de cinéma, mais aussi auteur de nombreux textes. Dans ce monologue en forme de puzzle autobiographique, l’auteur se fait acteur de ses morceaux d’existence, placés dans le désordre impulsif d’une recherche des origines. Né grâce au silence d’un employé des postes résistant qui sabota la ligne téléphonique grâce à laquelle un jeune nazi n’a pas pu vérifier l’identité de sa grand-mère et de sa mère, il a grandi à l’abri de la guerre, entre une mère juive d’Algérie et un père originaire de Dordogne. Les parents de sa mère avaient échappé à Paris à la rafle du Vél d’Hiv pour se réfugier dans une grange du Lot et Garonne. Il raconte que pour tromper l’ennemi, sa mère allait à l’école accompagnée d’un cochon. Mais l’histoire familiale est comme le noyau de cet écrit à la manière de Georges Pérec, qui fait des ellipses en passant par le cadeau d’une télécommande de magnétoscope, par l’adoption d’un chat, la hantise des dîners entre amis et la culpabilité de s’être énervé avec un piéton qui a du mal à comprendre un itinéraire. La psychanalyse a fait accoucher l’acteur de ces bribes de vie, et la tranquillité, la fantaisie, la délicatesse et l’élégance qu’il utilise pour raconter ces scènes absurdes, émouvantes, ou ridicules, sont bouleversantes. Avec un frigo des années 60 sur la scène, et une petite table pour manger, il déploie tout un univers, bric-à-brac émotionnel, pour accomplir des gestes fous, des conversations décalées, des souvenirs enfantins, pour nous parler de son père, qu’il n’a compris et aimé qu’après sa mort. Sarlat, le rugby, le Sud-Ouest, les prières du shabbat, le foie gras et la cacherout, quel mélange pour un Juif du Sud-Ouest, métis dans le corps et dans l’âme ! Un spectacle fort, et d’une simplicité bouleversante.
Théâtre de la Ville-Espace Cardin, jusqu’au 4 décembre 2021
Hélène Kuttner
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