Cannes, formidable épopée du festival de cinéma
Ce spectacle est magnifiquement mené par une troupe de grand talent et il retrace l’histoire du festival de Cannes de 1939 aux années 90, dans l’écriture et la mise en scène brillantes du jeune artiste Etienne Gaudillère. Réussite captivante.
S’attaquer à l’histoire de ce festival devenu numéro 1 mondialement, c’est lier l’histoire avec un grand H à celle du cinéma, c’est combiner la politique à des questions d’esthétique, c’est parler de la société autant que des stars et fondre sociologie avec mythe. Tous ces ressorts sont présents en une narration chronologique limpide, avec un sens jubilatoire du théâtre sans occulter sa dimension réflexive. Les séquences sont variées, les effets chatoyants et le rythme alerte. Scènes déroulées en avant du rideau, arrivée de comédiens par la salle, décor léger avec accessoires d’époque et symbole constant du palmier, exploitation inventive et renouvelée du grand escalier sur le plateau, longs échanges avec richesse du dialogue, séquences incisives…, c’est dire si l’ensemble est riche en couleurs et en tonalités que l’on ne saurait toutes énumérer.
Les spectateurs sont conviés à revivre sous un autre angle des événements majeurs de Cannes et à se plonger dans les dessous moins connus qui ont émaillé le festival. On suit le long cheminement qui a démarré dès 1938 pour contrebalancer initialement la Mostra de Venise dans un contexte fasciste. L’auteur rend justice sans emphase mais avec une précise auscultation des faits, à des hommes du gouvernement français, tels que Jean Zay et Philippe Erlanger. Le public rencontre de multiples figures qui sont parfois restées dans l’ombre alors qu’elles furent décisives et le puzzle reconstitué permet de réévaluer les rôles des uns et des autres. On traverse les époques majeures, telles que la guerre froide, le scandale de La dolce vita de Fellini, la guerre d’Algérie avec Chronique des années de braise, Mai 68 puis l’ouverture aux financements par des entreprises privées. On croise le flamboyant Cocteau, le perspicace et courageux Simenon, des ministres de la culture, des hommes politiques, des journalistes, et toute l’équipe pétillante et fougueuse de la Nouvelle Vague, qui débouche sur une superbe scène où les discours radicaux sur l’art et le bonheur sont un délice.
Etienne Gaudillère a su relier les grandes dates attendues à des enjeux qu’il remet en lumière, comme l’émouvante trajectoire de l’actrice Simone Silva, brisée par ce même monde de paillettes. Le monde du cinéma qui fait rêver des millions de gens est bel et bien fait de la rencontre entre le monde politico-affairiste et celui des créateurs. Le spectacle en montre les connections mais aussi les distances. La scène concernant le jeune cinéaste couronné Söderbergh tandis que déferle la musique des boites de nuit de la croisette, est un condensé éblouissant, tandis qu’apparait le producteur débutant et avisé Harvey Weinstein.
Le périple Cannes trente-neuf/quatre-vingt-dix est touffu, limpide, riches de points de vue et sans démagogie, tissant avec intelligence les orientations politiques d’une société aux engagements individuels des artistes. Tous les comédiens tiennent plusieurs rôles avec une admirable qualité de jeu, ils rendent palpable l’effervescence irrésistible du cinéma, que ce soit sur le plan de l’intellect ou de la séduction, preuve en est avec le tableau final qui rend un hommage superbe à la puissance féérique de cet univers.
Emilie Darlier-Bournat
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