Calvario met Marivaux en boîte avec délice
Le Jeu de l’amour et du hasard De Marivaux Mise en scène de Philippe Calvario Avec Anne Bouvier, Jérémie Bédrune, Philippe Calvario, Nicolas Chupin, Éric Guého et Marie-Pierre Nouveau Du mardi au samedi à 21h Tarifs : de 12 à 37 € Réservation en ligne Durée : 1h30 La Pépinière Théâtre M° Opéra www.theatredelapépinière.com |
Fidèle à ses relectures vivantes et malicieuses des classiques du théâtre, Philippe Calvario et ses comédiens actualisent les personnages enrubannés du XVIIIe siècle en nous les rendant attachants et drôles. La vérité et le mensonge jouent comme toujours à cache-cache dans un jeu de massacre réjouissant qui nous fait perdre la raison. Marivaux féministe avant l’heure Au XVIIIe siècle et bien longtemps encore, les filles se devaient d’épouser le mari que leur donnait leur père. L’amour, le désir, l’attirance ou la complicité n’étaient pas de ce monde chez les nobles ou les bourgeois dans une société régie par l’intérêt, le rang social ou la grandeur d’un terrain. Alors que Molière, au XVIIe siècle, dénonçait déjà cet injuste traitement des jeunes gens par leur père, Marivaux, en 1730, décrypte le langage dans ses interstices les plus réduits et, tel un décodeur philosophe, il passe au laser de son regard acéré les attributs lexicaux de la conversation pour en faire émerger la substance des sentiments. En féministe avant l’heure, il donne aux femmes le pouvoir d’exprimer leur désir grâce à des artifices de posture et de langage et accorde aux hommes la possibilité d’un lâcher-prise dans une recherche conjuguée de la vérité. Tout un programme me direz-vous, pour des jeunes gens habitués à séduire comme on joue à la roulette russe. Que faire pour connaître le mari qui lui est destiné, sinon échanger avec sa servante son costume et se transformer en soubrette ? Ainsi, la belle Sylvia imagine-t-elle avec un certain génie de changer de statut pour observer à loisir celui qui lui est destiné. En l’occurence Dorante, qui, comme par hasard, a fait de même avec son valet. Comme dans L’Île des esclaves dont le principe fonctionnait en un échange de rôles entre maîtres et esclaves, Sylvia attend son futur époux en robe noire avec un tablier blanc et Dorante simule la grossièreté d’un paysan pour épier sa future. Le talent de Marivaux consiste, même sous ce déguisement, à révéler la personnalité des deux jeunes gens qui se trouvent mille qualités malgré leur basse condition. L’amour malgré le rang social, un rêve d’utopie qui préfigure la société post-révolutionnaire ! Entre deux valets qui jouent les aristos avec maladresse et culot, nos deux tourtereaux s’épient en cherchant la faille et en se plaisant énormément. Éclairée par les chansons suaves de Serge Gainsbourg, dans un appartement fait de bric et de broc, en joyeux désordre, la mise en scène chahute hardiment les genres en proposant un Arlequin (Nicolas Chupin) totalement déjanté, catogan et chemise rose, qui se prend pour un play-boy irrésistible, et une Lisette (Anne Bouvier) à la virginité aussi improbable qu’une geisha à la perruque poudrée et à la jambe coquine. Les deux comédiens en font des tonnes dans l’exagération burlesque et sont très drôles. Marie-Pierre Nouveau campe une Sylvia fine et sincère, parée d’une exigence sans faille face à un excellent Philippe Calvario dans Dorante. Un spectacle enlevé et frais, recommandé à tous les publics. Hélène Kuttner [Photos © Christophe Vootz] |
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