“Cabaret” : le célèbre musical s’installe au nouveau Lido2Paris
La célèbre pièce de Joe Masteroff et John Kander s’installe sur la nouvelle scène du Lido2Paris, inaugurée dans la mise en scène de Robert Carsen. Ambiance de cabaret berlinois, danseurs enfiévrés et comédiens formidables, la troupe anglaise enflamme les Champs-Élysées pour deux mois.
Une vraie histoire
Au départ, c’est une histoire vraie. Christopher Isherwood, un jeune homme anglais de bonne famille, débarque dans les années 30 à Berlin pour devenir écrivain et vivre à sa guise son homosexualité. Dans cette ville cosmopolite où l’art et le spectacle font fureur dans une liberté encore protégée, pointe aussi la menace politique d’une percée du parti Nazi. Le jeune écrivain observe et écrit telle une caméra permanente, rencontre une actrice et chanteuse de cabaret de 19 ans qui l’initiera au monde de la nuit. Quand en 1933 Hitler parvient au pouvoir, le jeune homme quitte Berlin pour s’exiler aux Etats-Unis. En 1939, au début de la guerre, paraît Goodbye to Berlin, témoignage essentiel qui va révéler le changement d’époque au cœur de l’Europe. Après avoir été adapté au théâtre dans les années 50, puis tourné au cinéma, la première version de Cabaret voit le jour en 1966 sous la forme d’un musical à Broadway. C’est cette version, adaptée par Bob Fosse dans un film récompensé par 8 Oscars avec Liza Minnelli, que le metteur en scène Robert Carsen a choisi de présenter avec la collaboration de Jean-Luc Choplin pour l’inauguration de ce lieu.
Du noir et des paillettes
Robert Carsen joue habilement des deux réalités présentes dans le livret, celle des paillettes et de la folie extravagante des lieux de liberté durant la République de Weimar, avec les chansons outrageusement politiques, l’expression des corps dans l’expressionnisme allemand, la musique et les strass, mais aussi l’aspect gris et militaire des chemises noires qui font leur apparition, costumes sombres et films d’époque où l’on voit les rixes et la répression débuter dans les rues, les soupes populaires provoquées par la misère et le chômage. Les acteurs danseurs jouent à l’avant-scène sur un plateau circulaire, avec vue à hauteur de jambes et de fesses au milieu de spectateurs attablés sur plusieurs niveaux. Chorégraphie, lumières, costumes et maquillage sont parfaitement adaptés et les 24 artistes britanniques démontrent un talent brillant pour incarner la faune enfiévrée du Kit Kay Klub. La réussite du spectacle, sous réserve de quelques longueurs qui vont s’atténuer avec les représentations, est de mêler véritablement le théâtre et le cabaret, comme deux face d’un même monde avec un décor qui surgit du plateau.
Un maître de cérémonie équivoque
Le casting repose en grande partie sur le choix de Sam Buttery, que l’on voit sur l’affiche, pour incarner Emcee, le maître du lieu, miroir social et politique à l’allure outrageusement non binaire, oeil et tunique noire sur un corps envahissant, presque trop angoissant. Son magnétisme, son charisme et sa puissance projettent sur le spectacle une ombre tragique qui présage d’un futur incertain. Lizzy Connoly, très bonne comédienne, est une Sally Bowles enfantine et délurée, qui joue sa vie comme elle boit du gin et Oliver Dench incarne avec beaucoup de finesse le jeune écrivain, dont la lucidité aura du mal à triompher de l’illusion politique. Très belle interprétation de Sally Ann Triplett en logeuse au coeur tendre et de Gary Milner en marchand juif qui finira persécuté. Ces acteurs, comme Charlie Martin, la prostituée rousse et Ciarán Owens en fonctionnaire allemand, font preuve d’une épatante sincérité tandis que les danseurs se métamorphosent en une pléiade de personnages. La deuxième partie, surtout, gagne en intensité dramatique avec la fameuse scène des gorilles “If You Could See Her” et les deux déchirantes chansons « I don’t Care Much » et “Cabaret” d’Emcee et Sally. Un spectacle total et nécessaire, accompagné par l’Orchestre du Lido2Paris dirigé par Bob Broad.
Hélène Kuttner
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