“Ça ira (1) Fin de Louis” enflamme le Théâtre de la Porte Saint-Martin
La dernière création de Joël Pommerat met en scène 14 comédiens et une quinzaine de figurants qui font revivre au milieu des spectateurs réunis en assemblée les tumultes de la Révolution française. Un travail magistral d’incarnation vivante et contemporaine de cet événement mythique à la lumière d’aujourd’hui qui déboule au Théâtre de la Porte Saint-Martin.
Du son, des images, des corps
Depuis Pôles, sa première création écrite en 1995 puis publiée plus tard, Joël Pommerat ne cesse de parler du monde dans lequel nous vivons en s’attachant à des existences tissées de souffrance et de passions. Son théâtre se construit avec un collectif d’acteurs complices, au fil de mois d’improvisation et de réécriture des dialogues finaux. Cette matière vivante travaillée de mots et d’affects se trouve ensuite magnifiée par un travail de lumières et de son tout à fait particulier, cinématographique. Depuis deux ans maintenant, Joël Pommerat, assisté du jeune historien de la Révolution Guillaume Mazeau, de son scénographe Éric Soyer et de son créateur sonore François Leymarie, travaille sur la matière sociale de la Révolution française. Partant de discours, d’archives parlementaires, de procès verbaux, des journaux de l’époque et de centaines de lettres échangées, il recrée aujourd’hui, avec une trentaine de comédiens et de figurants, l’atmosphère brûlante des débats révolutionnaires en faisant de la salle et des spectateurs l’assemblée de citoyens ou de députés.
L’histoire comme une fiction incarnée sous nos yeux
Ne cherchez pas Danton, ni Robespierre, ni Marat. Aucun personnage historique n’est présent dans le spectacle sous son nom. Seul Louis XVI, haute stature de jeune homme aux allures de Giscard, joué par Yvain Juillard, demeure identifié comme Louis, roi de France. C’est que les discours, polémiques, débats et invectives sont adaptés dans notre langage d’aujourd’hui par des comédiens magnifiques qui se sont approprié ces sujets, habillés de manière contemporaine et saisis par ce tournant de l’histoire auquel ils participent. Cela commence par la crise financière de 1787 à Versailles, débattue entre le roi et ses ministres, pour finir en 1791, juste avant la fuite de Louis XVI. Entre les deux, nous voyageons à travers une éblouissante succession de scènes jouées par des comédiens qui endossent chacun plusieurs rôles dans un tempo accéléré ou ralenti, selon la situation. Il y a une énergie, une tension dramatique, une précision dans la peinture des personnages et les situations assez sidérantes, qui donnent à la représentation, qui dure 4 heures, l’aspect d’une performance. On s’étripe pour savoir comment former des comités de citoyens, on se bat pour faire entendre les voix des députés du Tiers-État quand ceux du clergé et de la noblesse décident de se murer dans une morgue dédaigneuse, ou pour faire taire les plus excités et laisser émerger les modérés qui légitiment la royauté.
Maïdan, Kiev, Mai 68, Paris
Comment un ordre établi depuis des siècles peut-il être bouleversé par des mouvements populaires ? Députés, commerçants, citoyens, soldats, mais aussi la Reine, l’Archevêque de Narbonne et les ministres, tous vont s’exprimer avec la folle violence de la rage ou avec la retenue policée des nantis, et les mots, les thèmes abordés résonnent étrangement avec nos sociétés actuelles. Pommerat s’amuse d’ailleurs à jouer avec la télévision par des reportages princiers retraduits en espagnol, sonorisation outrancière et rampes de spots éblouissants. On aimerait parfois d’ailleurs que le son soit moins saturé et on regrette un peu la langue véritable et les mots des orateurs du XVIIIe siècle, artisans parfois inconscients de cet événement qui a bouleversé le monde en amenant la démocratie. L’essentiel, pourtant, est bien présent ici et on voit des femmes, beaucoup, et des hommes se battre pour défendre leurs droits naturels. Le personnage de Louis, curieusement, demeure une énigme… peut-être révélée dans le second épisode, à venir, de cette saga.
Hélène Kuttner
Photos © Élisabeth Carecchio
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