Boris Charmatz, un chorégraphe qui compte
Il compte dans le paysage de la danse, et maintenant aussi sur scène. Dans Infini, Charmatz devient titulaire d’un rôle, pour la première fois depuis dix ans. Cette nouvelle création pour cinq interprètes part de l’acte de compter, pour ouvrir un infini de possibilités. Une critique d’un monde qui ne jure que par les chiffres ?
Inutile de vouloir compter tout ce qui, dans Infini, relève du monde des chiffres. La mathématique, l’arithmétique, la statistique… tout ça relève d’une lecture parfaitement rationnelle du monde, n’est-ce pas ? Mais alors, si on se met à compter sans but véritable, pour le plaisir de l’enchaînement, le frisson devant l’idée du néant incarné par le zéro, la jubilation d’une division ou d’une progression qui pourraient ne jamais s’arrêter ? Les chiffres deviennent alors poésie, musique et messagers de la liberté. Et pourquoi pas de la danse ?
Frénésie et autodérision
Les cinq interprètes d’Infini créent justement cette jouissance, portée par une frénésie qui risque d’être fort contagieuse. Il y a là des comptines, des chants, des unissons, des processions à genoux, une traversée de l’histoire du monde et de celle de l’art. Et un regard bien décalé sur les années qui passent dans une vie humaine, même dans celle du chorégraphe qui avoue ici, la tête entre les mains, son trouble face au comptage le plus obsédant. Mais tout ça se décline avec autodérision, sur un mode joyeux, farfelu ou burlesque. Et si la pièce a parfois l’air de se perdre en ses propres vertiges, cela lui permet à chaque fois de revenir à la charge.
Alors les gyrophares au sol s’allument et ajoutent d’autres micro-éléments non quantifiables qui ouvrent sur des densités sous-jacentes. Les chiffres sont paradoxaux, à la fois poétiques et amoraux, leur pouvoir est incontestable : on les déteste ou on succombe à leur fascination, jusqu’à l’obsession. Infini se nourrit de cette radicalité, la détourne, se l’approprie et la chevauche, transformant la scène en chaudron. Au passage, Infini nous rappelle qu’en ce monde il existe des génocides, des guerres, des attentats et autres comptabilités de l’horreur qui feignent la compassion et savourent le sang.
Des interprètes rayonnants
À l’hypocrisie des médias, Infini oppose sa soif de liberté et l’énergie survoltée de ses interprètes, de Charmatz himself à l’impressionnante Raphaëlle Delaunay (qui a fait ses armes à l’Opéra de Paris et chez Pina Bausch) ou Maud Le Pladec, la nouvelle directrice du Centre Chorégraphique National d’Orléans. Sans oublier Solène Watcher, Régis Badel et Fabrice Mazliah. Et si Infini part des chiffres, si l’idée est née quand Charmatz travaillait sur sa pièce précédente, précisément 10 000 gestes, la liberté d’imaginer l’emporte ici sur toute intention éventuelle d’imposer un mode opératoire. La rigueur des danseurs se met au service de la liberté.
Et c’est pourquoi Infini est née par un moment de grâce, offert au festival Montpellier Danse, dans la cour de l’Agora, à ciel ouvert, avant de partir à la conquête des salles. Le Théâtre de la Ville, le Festival d’Automne et le programme New Settings de la Fondation Hermès font circuler cet ouragan chorégraphique au cœur et autour de Paris et bien au-delà, jusqu‘à l’international. Pour Charmatz, qui vient de faire l’expérience de la finitude de toutes choses – il vient de quitter la direction du Centre Chorégraphique National de Rennes ayant épuisé la durée maximale accordée –, les perspectives sont néanmoins excellentes. Pas infinies, certes, mais assurément brillantes.
Thomas Hahn
Théâtre de la Ville – Espace Cardin – Du 10 au 14 septembre
1, avenue Gabriel – 75008 Paris
À 20h, samedi 16h
Nanterre-Amandiers, centre dramatique national – Du 13 au 16 novembre
7 avenue Pablo Picasso – 92000 Nanterre
Mercredi et vendredi 20h30, jeudi 19h30, samedi 19h / De 15 à 30 €
Espace 1789 / Saint-Ouen, Scène conventionnée danse – 19 novembre
2-4, rue Alexandre Bachelet – 93400 Saint-Ouen
À 20h / 12 € et 16 €
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