Bettencourt Boulevard à la Colline : quand le théâtre se saisit du réel
Bettencourt De Michel Vinaver Mise en scène de Christian Schiaretti Avec Francine Bergé, Stéphane Bernard, Clément Carabédian, Jérôme Deschamps, Philippe Dusigne, Didier Flamand, Christine Gagnieux, Damien Gouy, Clémence Longy, Èlizabeth Macocco, Clément Morinière, Nathalie Ortega, Gaston Richard, Juliette Rizoud et Julien Tiphaine Avec la participation de Bruno Abraham-Kremer et Michel Aumont Et de Dimitri Mager et Pierre Pietri, danseurs Jusqu’au 14 février 2016 Du mercredi au samedi à 20h30 Tarifs : de 9€ à 29€ Réservation en ligne ou par tél. au 01 44 62 52 52 Durée : 2h Théâtre de la Colline |
Jusqu’au 14 février 2016
Durant cinq années, l’affaire Bettencourt défraya la chronique politico-judiciaire, révélant, par le biais d’enregistrements secrets de conversations privées, les dessous d’une affaire de versements d’argent illicites et d’abus de pouvoir. Michel Vinaver se saisit royalement de cette affaire de reine d’industrie au milieu de sa cour par l’écriture polyphonique d’un récit monté par Christian Schiarreti au Théâtre de la Colline. Epatant. Quand la scène politique se fait théâtre de la vie Ils y sont tous, Eric Woerth et son épouse Florence, Nicolas Sarkozy, Liliane Bettencourt et son mari André, leur majordome, femmes de chambre, comptable, le gestionnaire de fortune Patrice de Maistre, leur fille Françoise et surtout le préféré de Liliane, détesté et jalousé par tous, celui par qui le scandale arrive, François-Marie Banier, romancier, photographe, acteur, dont le procès se poursuivra très bientôt en appel en mars 2016. Nul besoin de maquiller leurs noms propres, il aurait été bien trop aisé de les reconnaître, avoue Michel Vinaver, jeune auteur de 89 ans qui n’a perdu ni sa verve, ni son humour, pour brosser d’une plume fine et acide les portraits de ces drôles de personnages qui font valser les enveloppes de billets d’euros, se jurent entre deux grands hôtels des mots d’amour passionné ou une haine féroce, avant d’aller plonger dans l’eau turquoise de l’Ile d’Arro, une des iles du Pacifique achetée par Liliane, deuxième fortune de France à la tête de L’Oréal après Bernard Arnault (LVMH). La saga d’une famille très française En trente épisodes, brodés au point de croix serré de faits historiques avérés, l’auteur nous promène à travers les méandres et les labyrinthes de cet immense échiquier spatial et temporel que le metteur en scène Christian Schiaretti, avec Thibaut Welchlin, a matérialisé avec des fauteuils blancs géométriquement disposés de manière éparse sous des mobiles de tâches de couleurs vives qui éclatent sous des lumières rasantes. D’outre tombe, les voix d’Eugène Schueller, le père de Liliane, chimiste et fondateur des premières teintures L’Oréal, industriel d’extrême droite, et de Robert Meyers, grand père du mari de sa fille unique Françoise, rabbin gazé à Auschwitz. De ces deux voix, l’écart et la part d’ombre, de déni et de compromission, la zone obscure qui va nimber la trajectoire éclatante d’André Bettencourt, industriel et homme politique engagé dans la mouvance de la Cagoule, pétainiste puis résistant de la dernière heure, ami de François Mitterrand. Une distribution parfaite Pour incarner tous les personnages de cette saga, une quinzaine d’acteurs s’emparent de ces rôles avec la finesse et l’élégance d’apparitions hautes en couleurs. Francine Bergé, somptueusement évanescente, avec ses pertes de mémoires et sa générosité enfantine, campe Liliane, dans un chemisier orange vif. Fragile mais impétueuse, elle mène son monde. Jérôme Deschamps s’amuse à composer un Patrice de Maistre roublard et arrogant, balzacien en diable. Philippe Dusigne est un étonnant Bettencourt, Christine Gagnieux est saisissante dans le rôle d’une fille en manque d’amour, réfugiée dans Bach et la mythologie grecque et Didier Flamand joue les dandys amoureux des arts. Tous les comédiens, d’Elizabeth Macocco à Nathalie Ortega, sont au diapason. Car l’enquête, menée par le chroniqueur Clément Carabedian, nous révèle un monde fantasmé, des personnages prêts à donner leur vie pour une personne, un héritage financier. Et ces personnages, plus que les figures d’une saga télévisée, deviennent sous la plume de Vinaver et l’économie efficace de son écriture contemporaine, sans parti pris, les créatures mythiques de nos imaginaires collectifs. C’est terriblement troublant! Hélène Kuttner [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=p267dMclak8[/embedyt] [ Crédit Photos : © Elisabeth Carecchio] |
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