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Avignon Off 2023 : nos premiers coups de cœur

Hélène Kuttner 8 juillet 2023
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©-Mathieu-Prat

Parmi les 1500 spectacles et les plus de 4000 artistes sur les plateaux ou en extérieur, le Festival Off d’Avignon se présente comme le lieu de tous les possibles, qui attire dans la Cité des Papes, du 7 au 29 juillet, des acteurs et des spectateurs de tous les coins du monde. Pour vous aider à y voir plus clair, nous vous proposons une sélection de nos coups de cœur parmi les reprises et les créations 2023.

Mue : une dystopie vertigineuse

©-Mathieu-Prat

Dans un temps qui déploie une atmosphère de dystopie quelques décades après notre époque, un étrange sentiment de terreur saisit toutes les familles. Des dizaines d’adolescents se mettent à disparaître, sans donner d’adresse, laissant leurs parents démunis. Nous sommes dans un temps de la métamorphose, des jeunes gens vêtus de blanc refusent de communiquer avec leurs géniteurs, leur reprochant de ne rien comprendre au monde et à la vie en général. Quel sens donner à celle-ci quand l’espoir de voyager et de goûter la beauté de la nature vous échappe ? Comment colmater la béance de la communication entre les jeunes et les moins jeunes, quelle langue parler ? C’est sur ces interrogations très actuelles que la troupe basque du Petit Théâtre de Pain, fortement animée par une préoccupation collective, s’est lancée dans un travail par étapes avec l’auteur Magali Mougel et une dizaine de jeunes acteurs qui évoluent selon le lieu de présentation du spectacle. Le résultat est captivant, vertigineux et édifiant, tant les strates de ce travail se répercutent à travers les différents niveaux de perception théâtrale. Réel d’abord, avec une mère qui reproche à son fils de trainer devant son écran sur un canapé, virtuel ensuite avec la série télé d’une femme ministre qui fait face à une série de disparitions, théâtrale ensuite avec un retournement à la Pirandello qui casse la fiction par un retour au réel de comédiens traversés par les mêmes angoisses que leurs personnages. Les jeunes, au milieu, dansent une étrange chorégraphie dans les limbes de leurs rêves qui restent à construire. Un spectacle qui ne nous lâche pas.

La Scierie, 21h10 (jusqu’au 15 juillet)

Diego : sous le signe de Maradona

© Laurent Charrier

L’histoire est née au croisement de quatre existences, autour d’un même désir : évoquer la construction d’un jeune homme à travers ses fantasmes de réussite et ses craintes d’échouer. Barthélémy Fortier, metteur en scène, a permis au jeune comédien Hugo Randrianatoavina de raconter son histoire, avec ses rêves. Alexandre Cordier, auteur, a donné à ce projet une forme orale, vivante, un voyage initiatique autour du football et du théâtre en hommage à Diego Maradona, star mondiale du football récemment disparu. Sur scène, un jeune homme s’entraîne comme un athlète sur un tapis de course. Son père, fan de foot qu’il regarde sur un écran télévisé, le pousse à taper le ballon et à fortifier sa musculature. Il faut dire que Diego est né le 12 juillet 1998, le jour où la France est sacrée championne du monde. Maradona sera donc pour lui, comme il l’est pour son père, une idole, une phare, un soleil. Il se laisse influencer, tout le pousse vers le ballon rond, mais les entraînements, la boue des terrains et les vestiaires masculins le laissent groggy. Sa vie, son destin, Diego doit les tracer tout seul, loin de ce père omniprésent et de cet héritage mono-maniaque. Ce sera le théâtre, les mots plus que les ballons, qui dessineront, en pleine liberté, sa vie. Loin de sa famille, de ses origines et de sa maison, Diego fera exploser sa rage d’exister et de réussir dans des cours de théâtre et sous la protection des grands auteurs. Hugo Randrianatoavina campe de manière solaire, explosive, ce jeune homme plein de rêves et de désirs. Il possède une énergie torride et une rage vitale, une sincérité qui rend son personnage extrêmement attachant. Sans temps mort, dans une activité athlétique incessante, il sert le très beau texte d’Alexandre Cordier qui est rythmé selon les règles d’un match de football. Les lumières et une habile scénographie, soutenues par la musique, en sont l’écrin. 

Reine Blanche, 16h45

La vie est une fête : on est d’accord !

©-Frédérique-Toulet

Quand on naît en 1973, en plein cœur des années qui ont fait émergé les lois de légalisation de la contraception et de l’avortement, il ne faut pas s’étonner de posséder un tempérament rebelle. Romain est de ceux-là, enfant unique choyé par ses parents, même si sa maman, trop fragile sans doute pour mettre au monde un garçon, tombe rapidement dans une dépression post partum qui va durer un peu trop longtemps. Mais le papa veille au grain et le garçon grandit dans une société qui évolue, une sexualité qui se libère et des couples qui n’obéissent plus seulement au lien traditionnel du mariage. Les années 80 avec l’apparition du SIDA, 90 avec celle de l’argent facile, le calendrier social et politique, déroule ses étapes dans la vie de Romain dont le cœur s’ouvre, timidement tout d’abord, à l’homosexualité. Comment accepter d’être différent sans renier sa famille et les valeurs qu’on vous a, tant bien que mal, inculquées ? Comment grandir selon ses désirs, sans obéir à des injonctions, sans appartenir à un mouvement censé vous aider à vivre ? Romain n’aime pas choisir et préfère être choisi, il préfère réfléchir sereinement qu’agir dans la précipitation. Mais le mouvement LGBT fait des émules et il lui faut agir. Ce beau portrait d’un jeune homme de son époque, en forme de comédie spirituelle et tendre à la fois, est signé de Lilian Lloyd et mis en scène avec beaucoup de talent par Virginie Lemoine qui joue la mère. Julien Alluguette est un épatant Romain qui porte le rôle du début à la fin, entouré de camarades aussi captivants. On rit, on est attendris, on suit avec bonheur le parcours de ce héros fragile en se disant qu’il pourrait être notre frère.

Théâtre du Roi René, 10h

Rose et Massimo : amour toujours !

@Yoan-Loudet

Il déboule au Festival d’Avignon avec une énergie à revendre pour y présenter sa première pièce, montée par l’un des plus talentueux metteurs en scène, Alain Sachs. Félix Radu est un jeune artiste belge qui écrit et interprète ses textes, et sa pièce « Rose et Massimo », déjà éditée, est déjà reprise au Petit Montparnasse en septembre. Disons-le d’emblée : cette histoire d’amour interprétée de manière extravagante, écrite dans une langue que ne renierait ni Musset, ni Molière, ni Rostand, ses aînés en littérature, nous cueille dès le début. Parce que dans cette histoire d’amour entre un garçon bohème, Massimo, et une princesse, Rose, il y a tout ce qui fait le sel de la vie, du théâtre et de la littérature : une romance rocambolesque comme les Fourberies de Scapin, une amitié masculine romantique à souhait, un absolu sentimental qui se nourrit de mots, comme Cyrano s’enivre d’alexandrins. Et surtout un texte qui revendique ouvertement et sans prétention ses références classiques ! Mais rassurez-vous, la pièce n’est pas en alexandrins, elle est jouée tambour battant par un quatuor de jeunes acteurs palpitants d’énergie : Lou Noérie, Hugo Lebreton, Lionel Nocentini et l’auteur lui-même. Les décors légers, paravents brodés dans le style champêtre, permettent aux comédiens acrobates de bondir avec la ferveur de jeunes premiers. On rit, on découvre éberlués les intrigues fomentées à la manière d’Alexandre Dumas pour faire obstacle au bonheur évident de nos deux tourtereaux qui rayonnent d’amour et de plaisir de jouer. Les jeunes en redemandent, preuve, si besoin était de le rappeler, que la passion du théâtre, des mots et de la littérature passe souvent par un intense plaisir d’acteurs et de liberté scénique.

Théâtre du Girasole, 15h45

Chaplin, 1939 : une reprise formidable

©Laurent Sabathé

L’auteur et metteur en scène Cliff Paillé et le comédien Romain Arnaud-Kneisky reviennent à Avignon cette année avec une création formidable qui met en scène Charlie Chaplin, son frère Sydney et son épouse l’actrice de cinéma Colette Godart en 1939, alors que Chaplin envisage les prémices du film Le Dictateur. Ce sera son plus grand succès commercial. Mais pour l’instant, Chaplin s’amuse avec des boulettes de papier, griffonne des dessins, tape à la machine en pensant à celui qui lui a volé sa fameuse moustache, Adolf Hitler, né à quatre jours d’intervalle du génial comédien. Les rumeurs de guerre font gronder l’armée allemande qui envahira la Pologne au mois de septembre, lors du début du tournage du film. Mais Chaplin, artiste visionnaire, créateur engagé, entend les discours du führer nazi dans ses injonctions hallucinées, lit la presse et se lance, au grand dam de son frangin Sydney, dans un projet en forme de défi démesuré : se payer la tête de Hitler en dénonçant, dans une fable au grotesque politique qui met en scène un petit barbier juif amnésique et le dictateur, tous deux joués par Chaplin, le danger imminent que court l’Europe. Romain Arnaud-Kreisky est époustouflant de justesse dans sa composition de Chaplin, grand enfant impatient bouillonnant d’idées, se jouant d’un frère protecteur et raisonnable -parfait Alexandre Cattez- et d’une épouse envahissante, incarnée par la subtile Swan Starosta. Les dialogues sont percutants, riches, nous plongeant dans cette tranche de vie d’un grand artiste au courage exemplaire, qui contribua à mobiliser les Américains dans leur soutien aux démocraties européennes. 

La Luna, 17h55

Hélène Kuttner

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