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Avignon Off : des histoires, rien que des histoires, la suite de nos coups de cœur !

Hélène Kuttner 15 juillet 2023
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©Frédérique Toulet

Une Iphigénie moderne qui se raconte à la manière d’un concert rock, une aristocrate amoureuse de jazz et de liberté, une wonder-woman qui découvre une nouvelle famille quand tout l’abandonne, un conquistador qui se transforme en sorcier humaniste, l’histoire des enfants qui manquent à l’appel à Paris en 1942 et celle très actuelle de l’argent racontée aux enfants, sans oublier la crise des dockers en 2002. Des histoires originales et ordinaires, drôles, intimes ou collectives, qui nous racontent la vie, en beauté.

Iphigénie à Splott : explosif

© Debby Termonia

Nous sommes à Cardiff, capitale du Pays de Galles, dans une banlieue qui a fait les frais humains de la désindustrialisation : chômage, pauvreté, drogue, services sociaux et médicaux débordés. Un tableau de détresse sociale et économique que l’on retrouve dans le cinéma de Ken Loach, et que l’auteur Gary Owen connaît bien pour y avoir grandi. Son héroïne, Effie, est un concentré brûlant de tous ces maux. Elle est jeune, paumée et vit avec sa grand-mère qui l’héberge dans son deux-pièces. Mais elle reste fière, combattante, et se pinte à l’alcool fort tous les lundis pour commencer une semaine entre cauchemar et paradis. Son gars est gentil, mais elle désire davantage de cette vie. Ce plus, cette étincelle, elle va les rencontrer sous forme d’un jeune soldat, un soir de sortie en boite de nuit, et elle ne sera plus jamais la même. Gwendoline Gauthier, une comédienne à la rousseur incandescente, incarne cette Iphigénie sacrificielle des temps modernes avec une rage et un engagement formidables. Entourée de trois musiciens dans une scénographie lumineuse de concert rock, vêtue d’un jean et d’un survêtement violet, elle nous fait traverser tous les étapes émotionnelles d’un voyage organique et déchirant, souvent cocasse et désespéré. La langue est fougueuse, inflammable et tendre à la fois et la comédienne la porte comme une transe. La musique qui l’accompagne porte le texte, l’enrichit d’une pulsation harmonique déchirante dans une mise en scène de Georges Lini avec le Théâtre de Poche de Bruxelles. Un moment explosif.

11-Avignon, 10h20

Pannonica, baronne du jazz : la liberté avant tout

© Guillaume Saix

Quand on est baronne et issue d’une grande famille anglaise, fille de Lord Rothschild, belle et intelligente, racée et aristocrate, on se doit d’épouser un homme du même milieu avec lequel sera engendrée une flopée d’enfants. Kathleen Annie Pannonica Rothschild, née en 1913, épousa donc un jeune et beau militaire français, le baron Jules de Koenigswarter avec lequel elle aura six enfants et avec lequel elle partagea, selon la légende, des actions de résistance auprès des Forces françaises libres. C’est après la seconde Guerre mondiale que la famille s’installe à New-York et que tout se gâte. Pannonica ne supporte pas cette vie de sage épouse de diplomate et la liberté, associée au jazz qui la fait vibrer, l’enivrent de manière fulgurante. Elle rencontre Thelonius Monk, compositeur brillant, qui composa pour elle Pannonica et qui trouva en elle une bienfaitrice, une mécène généreuse et  passionnée jusqu’à la fin de ses jours. Elle aidera aussi Charlie Parker, Bud Powell et bien d’autres en donnant une partie de sa fortune pour leur permettre de vivre. La romancière et journaliste Olivia Elkaïm (Je suis Jeanne Hébuterne  et Le tailleur de Relizane  éd.Stock) s’est saisi de ce saisissant personnage de femme libre pour composer un monologue théâtral vibrant, qui s’adresse en permanence au public. La comédienne Natacha Régnier, le corps moulé dans une robe fuseau noire et perché sur des escarpins, est cette aristocrate anarchiste qui refuse le carcan des conventions que l’on réserve aux femmes. Dans un cerceau de tulle qui se déploie au fur et à mesure du spectacle, elle est cette femme vivante, révoltée, attachante, coupable d’abandonner ses enfants, répudiée par sa propre famille parce qu’elle embrasse la cause des musiciens noirs. A ses cotés, le pianiste Raphaël Sanchez joue des morceaux en direct et c’est très beau. Christophe Gand signe la mise en scène de ce spectacle nécessaire,  une ode à la liberté de la femme.

Théâtre le Petit Chien, 15h45

Le huitième ciel : un conte humaniste

© Frédérique Toulet

La dernière création de Jean-Philippe Daguerre, auteur et metteur en scène de Adieu Monsieur Haffmann (4 Molière en 2018), tutoie le ciel et les étoiles. La comédienne Florence Pernel incarne Agnès, une femme puissante, qui a passé sa vie à ériger des gratte-ciels dans toute l’Europe, tout en ayant une peur bleue des avions. Parvenue à l’âge de la retraite, elle se voit contrainte de laisser son magnifique bureau à un jeune loup aux dents longues et à rentrer dans sa grande maison avec immense parc arboré. Son mari l’attend, lui qui s’est occupé depuis de longues années du quotidien domestique et de leur fille, une jeune avocate en manque d’amour, partie vivre à Washington. Mais le face à face avec le gentil époux prend un drôle de tournant car notre wonder woman se trouve progressivement au cœur d’une étrange situation humanitaire, en charge de personnes dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence. Comme si la face cachée de son quotidien, la construction de hauts buildings flamboyants, révélait un monde qu’elle ignorait et qui absorbe soudain sa vie bourgeoise. Autour de Florence Pernel impériale, sensible et cabossée dans ce rôle qu’elle porte de bout en bout, Bernard Malaka campe le mari désarçonné, Charlotte Matzneff, Marc Siemiaticky, Antoine Guiraud et Tanguy Vrignaud sont parfaits dans les autres rôles. L’attention aux autres, la question du lien et celle du sens de la vie hors du travail sont ici les les fils de cette comédie drôle et touchante, bien écrite et très réussie.

Théâtre actuel, 19h30

Eldorado 1528 : le théâtre comme une épopée

© Julien Jovelin

Alexis Moncorgé, acteur sensible et petit-fils de Jean Gabin, cueille en ce moment le public avignonnais avec un texte signé de lui, écrit en forme d’épopée, celle d’un conquistador espagnol, Alvar Nuñez Çabeza de Vaca, qui s’apprête comme tant d’autres à s’embarquer direction la Floride, eldorado fantasmé pour ceux qui rêvent d’or en pluie. « L’enfer est un paradis qui brûle » déclare notre héros parmi ses malheureux camarades avec lesquels il voyage dans d’épouvantables conditions, de faim, de soif et de chaleur, avant d’échouer sur une terre hostile où des indiens peu courtois les prennent en grippe. C’est qu’il faut rapporter à la couronne d’Espagne suffisamment d’or pour pouvoir multiplier ces expéditions, démultiplier les gains et conquérir l’Amérique. La soif d’or devient une fièvre qui saisit aussi les religieux, mais cette avidité rend tous ces hommes fous. Ils pillent, piétinent, violent. Dans ce naufrage, l’acteur est ce héros magnifique, Ulysse trop humain pour vaincre en permanence. Vêtu d’une peau de bête parmi de sommaires constructions en bois et dans une belle lumière, mis en scène par Caroline Darnay, il se fait conteur et acteur de sa propre histoire, l’histoire d’une croyance en une utopie dévastatrice pour l’humanité. Son texte, son jeu incarné et puissant, nous racontent l’histoire conjointe d’une croyance et d’un échec. On est embarqués.

Théâtre du Roi René, 16h20

Rentrée 42 “Bienvenue les enfants” : l’histoire comme un boomerang

© Alejandro Guerrero

Rentrée des classes, 1er octobre 1942, dans l’école élémentaire de filles Victor Hugo dans le XIe arrondissement de Paris. Gisèle Blanc, la douce et ferme directrice de l’école, réunit les maîtresses pour préparer la rentrée. Avec le gardien de l’école, un ancien combattant de la grande guerre qui a perdu un bras et qui se prénomme Adolphe, on se réunit comme des gamins dans une salle de classe. La plus zélée et la plus jeune des enseignantes, Suzy Courcelles, chanterait presque à la gloire du Maréchal Pétain. Tout comme Lucienne Tati, qui arrive de son Périgord natal avec un panier de victuailles et sa bonne humeur, contrairement à Monique Ricou, grave et sceptique, trop engagée dans les services secrets de la résistance communiste. Mais où sont les jeunes élèves censées remplir les classes de cette rentrée 42 ? On récupère les listes, mais il en manque une centaine. Où sont-elles donc ? Partant d’une situation dramatique particulière, l’absence d’élèves juives à la rentrée 42 en raison des rafles et des déportations, Pierre-Olivier Scotto et Xavier Lemaire ont écrit une formidable comédie dramatique qui mêle la petite histoire à la grande, le drame au rire, en nous plongeant au coeur de ce groupe de femmes et d’hommes, avec l’arrivée grand-guignolesque du fameux inspecteur à l’allure inquiétante d’un milicien d’extrême droite. Sous l’injonction solennelle de « Travail famille patrie », dans un culte du corps qui conduit seulement à la maternité et à la conservation de la race, comment faire pour garder la face, sauver les enfants et garantir l’éducation pour tous ? Anne Richard, Isabelle Andréani, Emilie Chevrillon, Fanny Lucet, Dominique Thomas et Michel Laliberté sont simplement fantastiques de vérité et de sincérité dans cette pièce mise en scène de manière épatante et vive par Xavier Lemaire. Quel talent, et quelle émotion !

La Luna, 16h50

Une histoire de l’argent racontée aux enfants et à leurs parents

© Pierre Grosbois

Au commencement était le partage, nous expliquent deux cuisiniers émérites, l’un découpant du manioc et des poivrons pour les placer délicatement dans une marmite en train de cuire pour en faire une soupe, l’autre remplissant minutieusement des bocaux de céréales pour en faire des stocks. D’où vient l’argent ? Quand a été créée la monnaie ? A partir de quand a t-on monnayé les produits ? A t-on généré du profit ? Du partage au troc, du troc à la monnaie, de la monnaie à la dette, ces deux apprentis anthropologues joués par David Clavel et David Migeot nous expliquent le plus simplement du monde, en découpant de gros radis noirs pour en faire des poupées, comment l’argent, le commerce et le capitalisme sont venus remplacer l’organisation des sociétés primitives. 5000 ans d’histoire sont déroulés de la Mésopotamie à l’industrie agro-alimentaire et les cours de la bourse numérique. L’exposé est drôle, vivant, imagé, les deux acteurs se délectent à représenter sous formes de saynètes comiques les grands bouleversement de la finance. Bérangère Jannelle, la conceptrice de cet excellent spectacle, s’est basé sur Marx, Locke, Keynes, Smith et Graeber, ainsi que Bernard Siegler pour documenter le propos. On ne sent pas le temps passer, l’exposé est passionnant et on a envie de creuser le sujet. Mais le temps c’est de l’argent !

Théâtre du Train bleu, les jours pairs à 10h50

Le Moby Dick : dix acteurs pour une grande symphonie sociale

© Philippe Sheraf

Voici un spectacle magistral, généreux, vivant, interprété par dix comédiens à l’énergie survoltée, au jeu vibrant et sincère. Inspirée du roman de Melville, la pièce de Lina Lamara, auteur aux multiples talents dont celui de mettre en scène, plonge dans l’univers très codifié des dockers, cet univers de camaraderie familiale essentiellement masculine en 2002, lors de la crise des « ports morts » quand les O.D.O (Ouvriers Dockers Occasionnels) se mirent à faire grève et à bloquer le débarquement des porte-conteneurs. Nous sommes au Havre sur le long quai de débarquement de ces monstres flottants. On attend le plus gros cargo de l’histoire, le Moby Dick. Ishmael, un jeune homme, vient d’être embauché et c’est à travers son regard candide, sa fraîcheur, que l’on apprend ce qui se passe en réalité. « On importe du Chinois et on exporte du vide ! » dit l’un d’eux. Koubiac veille sur le petit, tandis que Bob, La Poigne, Chico, l’Aiguille, le Grand, Sidi Saïd le font rentrer dans leur famille. Mais Madame Berda, directrice générale du port, subit des pressions de ses supérieurs pour augmenter la cadence, concurrencer Rotterdam, et automatiser des tâches. Certains postes vont donc sauter, et il faut travailler plus vite. Sur une scène envahie de praticables métalliques, au son de la mer et des trafics incessants, un accident vient de produire et le capitaine Achab pousse à la grève. Mise en scène chorégraphique, jeu magistral et acteurs flamboyants, cette création fait entendre et ressentir le profond attachement de ces hommes à leur métier, mais aussi la relégation à laquelle ces mêmes hommes se trouvent soudain acculés face à des machines toujours plus imposantes et à un système financier de plus en plus oppressant. Et pourtant, ce sont les dockers qui sont souvent accusés de constituer une mafia anti-écologique ! Drames et bonheurs sont ici mis en scène joyeusement, cruellement, fraternellement, au terme d’une longue enquête que l’auteur a menée. On sort du spectacle interloqué, transi d’émotion, ému, face à cette humanité chavirante, rouage de notre système de consommation.

Théâtre des Gémeaux, 11h35

Hélène Kuttner

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