Avignon “Off” : un rituel coréen pour apaiser la guerre des tranchées
Binari – Souvenirs de la mère Du 5 au 27 juillet à 12h Présence Pasteur MAC Theatre Company Noir de boue et d’obus De Chantal Loïal, Cie Difé Kako Du 5 au 27 juillet 2014 à 18h40 Théâtre Golovine Classique nu De Shakti Du 11 au 25 juillet 2014 à 21h The Garage International |
Dans le “Off” d’Avignon, la danse est accessible, multiple et parfois exotique. La compagnie Difé Kako revient sur le rôle des Antillais, Guyanais et Sénégalais dans les tranchées de la “Grande Guerre”, alors que les Coréens de MAC Theatre nous introduisent dans le rituel du kut, qui accompagne le passage vers l’au-delà. Au festival “In”, la grogne des intermittents laisse planer l’incertitude sur le bon déroulement des spectacles, alors que le “Off” est nettement plus prévisible. Les perturbations devraient rester très limitées, vu que les compagnies investissent des sommes considérables. Beaucoup d’entre elles ne peuvent compter que sur le public pour éviter un naufrage financier. Danses, chants et masques coréens Binari – Souvenirs de la mère se déroule dans une maison traditionnelle coréenne. La famille se réunit autour de la défunte mère qui refuse de rejoindre le royaume des morts. Pour apaiser son âme, un chamane exécute le rituel funéraire. Chants, danses, masques et costumes traditionnels donnent vie à une culture aux influences chamaniques et bouddhistes, très à l’aise avec l’idée d’un va-et-vient entre l’ici-bas et l’au-delà. Aujourd’hui encore, les relations entre les vivants et les morts occupent une place centrale en Corée. Mais il ne s’agit pas d’une cérémonie au sens strict. Jungnam Lee, directeur de la compagnie et metteur en scène avec plus de 80 réalisations à son actif, a ici combiné deux récits traditionnels pour un opéra avec danses de masques. Selon Lee : “En Occident comme en Orient, la mort est ressentie comme une séparation. Mais l’approche cérémoniale est différente. En Corée, on garde le défunt à l’intérieur de la maison. Pour la cérémonie, on le met sur une charrette portée par toute la famille. Binari l’adapte à notre époque.” Si le rituel chamanique appelé kut est bien présent, il y a surtout les humains qui le pratiquent, et ils sont ici très, très humains dans leurs envies et faiblesses, ce qui est toujours drôle à observer, quel que soit le pays d’origine. Aussi, les masques du kut peuvent rappeler la commedia dell’arte ou le kyogen japonais, autre registre masqué et humoristique. La guerre des tranchées, dansée Chantal Loïal et sa compagnie Difé Kako pratiquent la synthèse entre la culture antillaise et la danse contemporaine européenne. Dans cette nouvelle création, les couleurs sont ici presque absentes et l’unisson fait son entrée, formatage militaire oblige. Noir de boue et d’obus se situe dans le grand écart entre la joie de vivre antillaise et la rigueur des corps en ordre de bataille. Le passage du premier tableau, un solo de danse africaine, à la marche militaire, exprime le traumatisme subi. Mais l’idée n’est pas de reconstruire la vie sous les grenades. Il s’agit d’interroger les tensions, les tics, les fous rires qui naissent de l’horreur. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=Sq-D–_nlKE[/embedyt] Danser la guerre ? En voix off, les lettres du front témoignent d’espoir, d’amour et de souffrance. Scène d’adieu aux îles, scènes de volonté de survivre au front. Un seul lien entre les deux mondes : la communauté et le sens de l’entraide. La distribution mixte témoigne de la rencontre des cultures dans les tranchées. Registre aux mouvements très codifiés et mécaniques, l’activité du fantassin regorge de gestes à réinterroger. On rampe, on vise, on creuse, on marche, on court, on tire, on sauve des blessés. Toute action est soumise à la loi de l’efficacité. Mais dansait-on, dans les tranchées ou entre elles ? Pas tellement… On ne pouvait qu’en rêver. Et si trois des quatre interprètes sont des femmes, histoire de souligner que cette guerre concernait tout le monde, les différents états de corps en deviennent d’autant plus lisibles. Grâce à cette petite distanciation vis-à-vis de la mémoire collective, les présences interrogent et déconcertent. Le grand mérite de cette création est de nous éviter une commémoration centrée sur les stéréotypes pour ouvrir un autre regard, un regard qui fusionne et apaise, au lieu de trancher. On ira donc voir d’abord Difé Kako, pour ensuite chasser définitivement tous les mauvais esprits avec la gracieuse chamane-chanteuse coréenne de Binari. “Classique nu” Pour aller plus loin encore dans la synthèse entre les cultures, il faut découvrir l’extrême délicatesse de la Nippo-Indienne Shakti, dans son solo Classique nu, où elle explore, sur fond de Beethoven, Bach et autres, son propre regard sur le motif de la nymphe. Hommage au corps vieillissant, à la beauté en général, à la musique. Danse indienne ou occidentale ? Classique nu, en partie dansé sur une chaise et repris en vidéo comme pour mieux approcher l’âme de la danseuse et de sa danse en même temps, est déjà un classique du “Off” d’Avignon, reconduit d’année en année et accompagné d’une sélection d’autres spectacles asiatiques, entre danses traditionnelles, contemporaines ou théâtrales. Thomas Hahn [Photos : Binari (C) Thomas Hahn ; Noir de boue et d’obus (C) Patrick Berger] |
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