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Avignon 2021, troisième épisode : les perles du Festival OFF

Hélène Kuttner 12 juillet 2021
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Depuis un an et demi, ils sont sur les starting-blocks. Comédiens fauchés en pleine répétition par la crise du COVID, compagnies lessivées par l’annulation des représentations, théâtres en déshérence en manque d’art et de public. Dépassées les restrictions de jauge mais avec le masque obligatoire, les 1070 spectacles du festival OFF programmés dans 116 lieux ont tous débuté le 7 juillet et le public réserve déjà beaucoup, remplissant parfois certaines salles. Voici une première sélection des créations à ne pas rater.

Camus Casares, une géographie amoureuse

© galey-ovidio

“Depuis 15 ans, tu n’as pas changé ma vie. Tu es ma vie.” De 1944 à 1959, année de sa mort accidentelle, l’écrivain Albert Camus et la comédienne espagnole Marie Casares vont s’aimer d’un amour intense, passionné, s’écrivant régulièrement des lettres qui ont fait l’objet d’une publication en 2017 par Gallimard. De ce recueil impressionnant, collecté par la fille de l’écrivain Catherine Camus, Jean-Marie Galey et Teresa Ovidio en ont sélectionné 172, les plus puissantes historiquement, les plus émouvantes, qu’ils ont mêlées de fragments de carnets autobiographiques d’Albert Camus. Le résultat est bouleversant, dans un spectacle qui prend la forme d’un voyage à travers les années et l’amour. Dans un espace empli par de vieilles radios allumées comme des vigies de la Résistance, Camus se révèle dans toute sa fragilité d’homme marié, père de famille, happé par cet ouragan de passion, honteux et tourmenté, quand Casares, de 10 ans sa cadette, jeune actrice à la beauté brûlante, impose sa tendresse, son calme, son humour décapant et son intelligence animale. Elisabeth Chailloux met en scène les deux acteurs avec une précieuse subtilité. Un grand moment.

Théâtre des Gémeaux, 19h30 (spectacle soutenu par l’ADAMI)

Journal de l’année de la peste

© Xavier Cantat

En 1665, la peste s’est abattue sur Londres, provoquant l’isolement de la capitale, la fuite des plus riches et la misère des plus pauvres. Mark Saddler, un riche négociant,  décide contre toute attente de rester dans la capitale et en écrivant un journal quotidien, nourri de toutes ses réflexions et réactions à l’atmosphère de confinement qui envahit la population. Ce journal fictif, nourri de faits véridiques, a été écrit par l’auteur de Robinson Crusoe, l’Anglais Daniel Defoe, soixante ans après le début d’une épidémie qui a profondément marqué l’Europe occidentale en plein essor des échanges mondiaux. Le metteur en scène Cyril Le Grix, sous les conseils avisés de Jean-Claude Carrière et dans le contexte de la crise sanitaire, a traduit et adapté le texte pour la scène sous la forme d’un monologue intime. C’est l’excellent comédien Thibault Corrion, carrure athlétique et regard d’un bleu intense, qui incarne le narrateur dans une scénographie à la précision historique saisissante. Seul en scène entre son encrier et son jeu d’échec, préparant son repas ou rangeant ses lourds vêtements de lin, dans une lumière chaude, le personnage nous prend par la main en nous plongeant dans un quotidien à la fois très lointain, le 17° siècle, et terriblement proche de ce que l’on vient de vivre. La main de Dieu ou du Diable n’embarque plus les malheureux pestiférés sur des charrettes de bois avant de les brûler, mais ce sentiment de la valeur de la vie accompagné de la conscience de l’altérité n’ont jamais été aussi forts qu’aujourd’hui. 

Condition des Soies, 13h35

Normalito

© Ariane Catton

Comment vivre dans la peau d’un gamin trop normal ? Luca, un garçon de 10 ans en pleine forme, se désespère de ne pas posséder un cerceau à haut potentiel (surdoué), à ne pas être investi de super-pouvoirs comme ses héros favoris, de ne pas avoir de parents divorcés ni de dyscalculie, de maîtriser la langue française et d’être un petit mâle blanc de classe moyenne. Quand il croise Iris, une fille surdouée qu’il prénomme la Zèbre, le choc ressemble fort à une décharge électrique. Trop brillante, trop mature, trop sage, trop exceptionnelle pour un petit gars ordinaire comme Lucas, qui va pourtant se laisser embarquer dans la famille d’Iris où on mange des hamburgers avec du ketchup et des frites en regardant vautrés sur le canapé les matchs de football ! Pauline Sales a écrit et mis en scène cette délicieuse fable pour tous publics sur notre époque où chacun se doit d’affirmer sa différence et où la banalité des vies paresseuses n’a pas toujours le droit d’être. A ce couple d’enfants si contraires, l’auteur ajoute un savoureux personnage de dame-pipi trans au grand coeur et à l’histoire cabossée, qui va endosser le rôle de magicienne protectrice pour nos deux chérubins en fugue libre. Drôle, très bien incarnée Antoine Courvoisier (Lucas), Chloé Lastère (Iris) et Anthony Poupard (Lina), la pièce enchaîne avec fantaisie et fraîcheur des situations cocasses mais justes, burlesques et sensibles, sur une jeunesse à qui on demande souvent trop, mais qui s’en sort souvent avec une bonne dose d’astuce pour tromper les grands.

 11.Avignon, 9h45

Le bonheur des uns

© Alain Szczuczynski

Le bonheur des uns ne fait pas toujours celui des autres. Lui ( formidable David Houri) est mariée à Elle (Coralie Russier) mais ces deux-là, face à nous dans leur appartement beige feutré, s’interrogent sur leur bonheur. Chacun aime l’autre, possède un travail, gagne sa vie, mais le réfrigérateur fait trop de froid, et le canapé est mal placé. Bref, ça râle, ça grince, ça dysfonctionne en raison du diktat qui exige de tous le bonheur collectif. Et quand ces deux-là débarquent chez leurs voisins, un autre couple, ils découvrent des êtres que la psychologie positive et les pratiques new age ont totalement lénifiés, modelés, assagis. Eléonore Joncquez (la voisine) et Vincent Joncquez (le voisin) sont décidément trop cool, trop sereins. Seraient-ce les grains de raisins secs qui font office de pilule du bonheur ? Et quel est le cruel secret qui jaillit de cette coquille si lisse ? La pièce écrite et mise en scène par Côme de Bellescize déploie des dialogues drôles et acérés, mêlant les tonalités du quotidien et du tragique en passant par le lyrique. De la voisine excessivement zen et au sourire crispant à l’institutrice débordée (Elle) et au bord du burn-out, du râleur impénitent (Lui) au citadin écolo et sans reproches (le Voisin), tous nos petits travers sont passés à la moulinette acide d’une comédie douce amère, fort bien jouée, qui se moque habilement de notre désir de société parfaite et matérialiste.

Théâtre des Béliers, 13h10

L’Elue 

© Leila Moguez

Voici un spectacle salutaire, puissant, intelligent, basé sur la confession autobiographique de la jeune comédienne Camille Bardery. Seule en scène dans ce monologue qu’elle crée à Avignon avec le soutien de l’Adami et qui risque fort de faire mouche, elle raconte comment, à 19 ans, elle se jette à corps et à coeur perdu dans sa vocation d’actrice pour échapper à une famille déchirée par le divorce de parents à la personnalité écrasante. Dans l’école de théâtre ou l’excellente étudiante s’inscrit, le directeur impose sa poigne de fer, sa culture encyclopédique et des méthodes de travail qui frôlent souvent la violence morale. Pas de places pour les larmes ou l’auto-apitoiement d’une petite bourgeoise, il extirpe de chacun, aux forceps, une part sanglante de vérité, en leur promettant le graal d’une production face public. Noémie, la jeune héroïne, se met en quatre pour satisfaire, comme tous ses camarades, le maître, et finit par obtenir de lui des faveurs particulières. S’ensuit une relation passionnelle déséquilibrée, violente et toxique, qui va finalement permettre à l’héroïne, après des années de questionnements et de réparations, de grandir et d’advenir au monde. Loin de faire de son personnage une victime, Camille Bardery nous invite, avec souvent beaucoup de finesse et d’humour, à plonger dans la dérangeante complexité des rapports de séduction et de pouvoir qui emprisonnent trop souvent les femmes.

Théâtre du Chêne Noir, 17h30

Massacre à la Poézie

© Pascal Gely

Comment se plier au désir d’un metteur en scène ordinaire, qui ne fait que suivre le goût du public actuel et ceux de la jeunesse, quand on a dans la tête et dans le coeur l’amour immodéré de la poésie, l’attachement viscéral aux figures féminines de la littérature mondiale telles Marina Tsetaïeva, Emily Brontë, Sylvia Plath ou Marceline Desbordes-Valmore ? Des chansons romantiques plein la tête et des poèmes en Serbe sur l’extermination d’enfants par les nazis durant la seconde Guerre mondiale ? Mina Poe, actrice chanteuse et performeuse, s’imagine en chanteuse sur le retour avec deux musiciens plutôt rock, Rémy Charlet et Maxime Pichon. Elle arrive donc  en imperméable jaune, avec ses bigoudis sur la tête et un pantalon de jogging d’adolescente hype. Son metteur en scène est derrière nous, le public, et elle en attend ses injonctions ou directions artistiques, mais pas grand chose ne fuse du fond de la salle et elle improvise. Sylvia Path est trop cérébrale, trop dépressive ? La voici qui se mue en vamp sexy en quête de Nina Hagen. On la trouve trop âgée, et les musiciens se moquent d’elle en allant s’en griller une dès qu’elle flanche un peu ? Elle enchaîne sur un rap avec casquette à l’envers et baskets de marque. Ce que l’on exige d’elle est d’adopter illico les différentes standards vendus en télévision, alors qu’elle défend bec et ongles, avec un beau talent, les plus engagés des femmes poètes. Mina Poe, artiste caméléon et multi casquettes, met en boite avec beaucoup de punch et d’humour le fragile destin de celles qui sont condamnées à réussir.

Théâtre Le Grand Pavois, 12h15

Hélène Kuttner

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