Avignon 2019, deuxième épisode : l’Europe et l’Amour dans le IN et de grands acteurs dans le OFF
Au coeur de la programmation du Festival In, « Nous, l’Europe, banquet des peuples » est une véritable fête populaire et revigorante proposée par Roland Auzet et Laurent Gaudé au Lycée Saint-Joseph tandis que « L’Amour Vainqueur » d’Olivier Py nous ravit. Dans le Festival Off, Christophe Malavoy, Christiane Cohendy, Philippe Girard et John Arnold nous captivent dans de grands textes à découvrir d’urgence.
« Nous, l’Europe, banquet des peuples » de Roland Auzet et Laurent Gaudé
C’est un véritable feu d’artifice d’intelligence et de clairvoyance qui nous est proposé ici, porté par une dizaine d’acteurs perforateurs venus de tous les pays d’Europe, accompagné par la grâce musicale des choeurs d’enfants et d’adultes de la région d’Avignon. Quelle Europe voulons-nous ? Avec qui souhaitons-nous vivre ? Et de quelle manière, sous quel traité ? Et avec quels représentants ? D’ailleurs, les connaissons-nous, ces députés, ces institutionnels censés représenter nos pays ? Avons-nous été écoutés, entendus lors du dernier référendum ? Ces questions, ces interrogations qui nous taraudent aujourd’hui plus que jamais, alors que montent de toutes part les nationalismes, ce sont elles qui agitent, qui jaillissent, de cette épopée historique, politique, citoyenne concoctée avec une grande intelligence par Laurent Gaudé pour le texte et Roland Auzet pour la mise en scène. Pas de leçon d’histoire, pas de principe asséné, mais un voyage, drôle, percutant, festif, du coté des étapes de notre construction : 1848 et les révoltes populaires, les trains à vapeurs qui sillonnent l’Europe, puis les guerres, la décolonisation, le terrorisme, la libération des corps à l’ouest et la dictature militaire au sud. Les comédiens chantent, dansent, semblent improviser face à nous, reprenant nos interrogations les plus intimes dans un permanent et fécond dialogue, sans manichéisme ni didactisme moral. Engagés dans une énergie phénoménale, ils sont tous magnifiques de créativité et de lucidité, ces jeunes gens qui nous ressemblent, tandis que les choeurs les soutiennent, voix du peuple dans la fraternité. Chaque soir, un « grand témoin » répond aux questions des acteurs et de la salle avec son expérience. Susan George, invitée le 7 juillet, était bouleversante. Un forum d’idées et de joies réunies, dans la musique et la danse, à savourer de toute urgence et qui redonne espoir.
Cour du Lycée Saint-Joseph jusqu’au 14 juillet puis en tournée
L’Amour Vainqueur d’Olivier Py
Et voici que l’on retrouve Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon, auteur et metteur en scène, aujourd’hui compositeur d’une opérette pour tous publics qui est un véritable petit bijou de fantaisie et de plaisir. Sur une estrade savamment bricolée, surmontée d’un cadre de lumières joyeuses, Clémentine Bourgoin, Pierre Lebon, Flannan Obé et Antoni Sykopoulos s’amusent a toute allure, sans temps mort, à incarner une flopée de personnages inspirés d’un conte des frères Grimm, mais dont l’histoire, les incidences, percutent ironiquement notre actualité politique et écologique. Il va s’agir d’un prince malheureux et envoyé à la guerre par un père tortionnaire et dictateur, et d’une fiancée aux yeux de chat, douce comme un coquelicot, à la voix de soprano léger, d’une fille de cuisine qui veut s’engager. Les quatre jeunes artistes sont éblouissants de talents et de vivacité, chantant et jouant de la musique, se déguisant à vue d’oeil sous des maquillages de cinéma muet. Les échos à la mythologie grecque, à la vente d’armes dans le monde, à la destruction des abeilles tournoient autour des dialogues ébouriffants de cocasserie. Comique et tragique se donnent la main, passé onirique et présent tonique, autour d’un piano central qui déploie une belle composition harmonique. Les plus jeunes sont conquis, et nous autant qu’eux !
Gymnase du Lycée Mistral, jusqu’au 13 juillet puis en tournée
La légende du Saint Buveur de Joseph Roth
Christophe Malavoy revient sur la scène pour un projet qu’il a totalement produit. L’histoire d’un pauvre ivrogne, Andreas, ancien mineur de Silésie, qui fait un soir la connaissance d’un homme bourgeoisement habillé, qui lui offre soudain une somme d’argent, avec la possibilité, le lendemain même, d’un travail. Rencontre miraculeuse, providentielle pour ce sans-abri à la vie cabossée, mais qui a promis dignement au bourgeois de rendre l’argent, une fois le travail accompli, à une certaine Thérèse dans l’Eglise Sainte-Marie des Batignolles. Le récit de Joseph Roth, mort prématurément dans la misère à Paris en 1939, année de parution de la nouvelle, après que ses livres aient été brûlés par le régime nazi, comme ceux de son compatriote Stephan Zweig, est tout simplement bouleversant d’humanité et de clairvoyance. Le héros est un exilé, alcoolisé par une vie malheureuse, la prison, dans le Paris de entre deux guerres. Christophe Malavoy interprète le personnage avec une grâce absolue, tour a tour narrateur et acteur, glissant sa longue silhouette dans la peau d’une brochette de personnages hauts en couleurs, aux accents divers. De temps en temps, il prend son « bugle », une trompette de jazz dont il joue malicieusement quelques standards de blues, et il chante, aussi, de superbes chansons du répertoire de Léo Ferré ou de la Commune de Paris. Ses pauses musicales, son récit coloré, interprété avec une émouvante simplicité, dans une scénographie astucieusement cernée de lumières, font de ce spectacle une parenthèse de sérénité et d’humanité.
Théâtre du Chêne Noir, 18h45, puis tournée
Jacob, Jacob de Valérie Zenatti
Jacob est un jeune garçon plein de vie. Il vit avec sa mère à Constantine, en Algérie française, durant la Seconde Guerre Mondiale, alors que le Maréchal Pétain a imposé l’exclusion des élèves juifs du Lycée d’Aumale. A 19 ans, cet amoureux d’Hugo, de Balzac, de Flaubert et d’Edith Piaf qu’il chantonne avec entrain est envoyé libérer la France, par la Provence. Devenu un matricule, l’ « indigène » de Pétain fait maintenant partie des jeunes recrues parties au combat, entrainées pour tuer « des Boches », et qui paieront le prix fort our défendre leur pays. Loin de sa mère qui reste dans une totale ignorance de ce qui arrive à son fis, le jeune homme combat, tombe amoureux, triomphe puis succombe sous l’attaque d’un obus. Le superbe roman de Valérie Zenatti, prix du Livre Inter 2015, est ici adapté et mis en scène sobrement par Dyssia Loubatière avec un couple d’acteurs sensationnels. Christiane Cohendy est bouleversante dans le rôle de la mère qui cavale de garnison en campement avec un panier rempli de victuailles, espérant retrouver son fils, et Florian Choquart irradie dans celui de Jacob, jeune homme gorgé de soleil et de joie. Quel beau moment de théâtre !
Théâtre du Petit Louvre, 10h45
Le Crépuscule de Lionel Courtot
Voici un spectacle indispensable, puissant, lumineux, qui raconte le dialogue entre deux des plus grands esprits du 20° siècle : le Général de Gaulle et André Malraux, incarnés sur le plateau par deux éblouissants comédiens, Philippe Girard et John Arnold. Le premier, haute stature de commandeur au regard bleu acier, campe l’homme qui a redonné l’honneur à la France, la voix du 18 juin 40, son libérateur, au lendemain même du référendum sur la régionalisation de 1969 qu’il perdra. Comme il l’avait prédit, il se retire de la vie politique et retourne à Colombey-Les-Deux-Eglises, près de ses arbres et de ses livres vénérés, pour rédiger ses fameuses « Mémoires ». C’est là que se déroule l’ultime rencontre avec André Malraux, son ami fidèle, combattant de toutes les causes, résistant aux fascismes, qui créa le Ministère de la Culture en 1959. Cette rencontre, Malraux la raconte dans « Les Chênes qu’on abat », dont le titre est une citation de Victor Hugo, un dialogue crépusculaire qui interroge les deux hommes sur leur passé, la politique, leur vision de l’avenir, en Europe et en France. Lionel Courtot a adapté ce prodigieux récit et en a extrait des dialogues ciselés dans de l’argent, d’une intelligence et d’une prescience foudroyantes. A la vivacité tourbillonnante de Malraux, autodidacte, romancier, mégalomane, qui a construit, lui aussi, le mythe de De Gaulle, ce dernier lui oppose l’éternité de la grandeur, l’ambition de Napoléon, le désir de sauver et de ressusciter l’espoir de la France. Tous deux rêvent et inventent leurs vies, mais dans une action héroïque, de celles qui font rêver les peuples. Sur l’art, la politique, le dialogue social, la construction européenne, la décolonisation, la mort et la vie, leurs échanges sont prodigieux de vérité et de richesse. Philippe Girard, De Gaulle éblouissant de sérénité, et John Arnold, bouillonnant de vie et d’esprit, inventent eux aussi un lumineux spectacle.
Présence Pasteur à 18h15, relâches les 15 et 22 juillet, puis reprise à Paris au Théâtre de l’Epée de Bois du 3 octobre au 3 novembre 2019
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