Avignon 2018 troisième épisode : les perles du OFF
Plus foisonnant que jamais avec ses plus de 1 500 spectacles et ses têtes d’affiche, le Festival OFF d’Avignon offre de belles surprises que l’on peut découvrir du matin au soir avec la carte Off qui donne des réductions dans 133 différents lieux de la ville jusqu’au 29 juillet. Certaines reprises sont incontournables, comme Adieu Monsieur Haffmann ou La Magie lente, et nous avons sélectionné 12 créations à découvrir.
Retour chez Mister Green
Le voilà de retour, Mister Green et ses 90 ans bien sonnés, dont s’occupe quotidiennement le jeune Ross qui l’a renversé autrefois accidentellement à New York. Une réelle amitié lie les deux hommes qui ont appris à se découvrir, le vieil ermite juif avec ses secrets de famille et ses coquetteries modestes, le second avec son humanité, son regard laïque sur la religion et son amour homosexuel pour l’infirmier qui soigne le vieil homme. Quand débarque une jeune fille qui ressemble beaucoup à son épouse disparue, Mister Green bascule dans un tsunami d’émotions contradictoires, et nous aussi. Suite de Visites à Mister Green présenté la saison dernière, ce spectacle adapté par Thomas Joussier de la pièce de Jeff Baron en création mondiale est un régal d’intelligence et de finesse, interprété de manière savoureuse par une équipe dont Jacques Boudet assume superbement le rôle-titre. Formidable.
Théâtre du Chien qui fume, 10h30 les jours impairs (Visites à Mister Green les jours pairs)
La machine de Turing
Attention, c’est une bombe d’intelligence artificielle à Avignon qui séduit un public toujours plus nombreux et risque très certainement de faire un carton dès la rentrée parisienne. Elle est signée Benoit Solès, qui incarne le rôle d’Alan Turing, père de l’ordinateur moderne et créateur de la machine de Turing qui fut, durant la Deuxième Guerre mondiale, recruté par les services secrets britanniques pour tenter de décrypter, avec succès, la machine de guerre nazie Enigma. Un cerveau génial, mais aussi une personnalité d’une timidité maladive, dotée d’une sensibilité à fleur de peau et qui ne cachait pas son homosexualité. Condamné à un traitement hormonal dégradant par la justice anglaise dans les années 50, il se suicida à 42 ans en croquant dans une pomme empoisonnée, comme Blanche-Neige. Dans un décor vivant et imagé, Benoit Solès incarne le personnage de manière prodigieuse face à Amaury de Crayencour qui joue les autres personnages. Bégayant, introverti, coureur de marathon, drôle, le personnage qu’il incarne sur la scène est d’une humanité éblouissante. On suit, comme un thriller, cette courte existence de génie incompris d’abord, puis utilisé en temps de guerre et dissimulé par la société en raison de ses amours prohibés par la morale. Une histoire et une interprétation incroyablement riches et d’une puissance absolue.
Au début
Qu’est-ce qui provoque le désir d’enfant ? Et pourquoi, au contraire, le refuse-t-on ? D’où vient l’attirance-répulsion que provoquent la maternité puis la naissance d’un enfant ? Telles sont les questions, avec bien d’autres encore, auxquelles répondent quatre personnages, trois femmes et un homme, tous d’âges et de milieux sociaux différents. Mais ce ne sont pas des témoignages auxquels nous sommes conviés ici, mais des morceaux de vie, assemblés comme un puzzle aux mille émotions, écrits et adaptés pour la scène par l’un des auteurs contemporains les plus doués du moment, François Begaudeau. Drôles, cocasses, coquines, déchirantes d’intimité et de justesse, ces parts de vie racontées ici, incarnées par quatre merveilleux comédiens et mises en scène avec une infinie subtilité par Panchika Velez, sont bouleversantes de vérité et d’intensité.
Théâtre du Petit Louvre, 12h40
Suite française
1941, dans une maison de Bourgogne, avec deux femmes qui vont vivre la guerre et l’Occupation chacune à leur manière. La mère, Béatrice Agenin, corsetée de noir et de religion catholique, ne jette aucun regard sur le bel officier allemand qui s’héberge chez elle. Son fils unique a été fait prisonnier par la Wehrmacht et elle souffre en silence, tout en épiant cruellement sa belle-fille, jouée par Florence Pernel, dont elle soupçonne un penchant envers l’élégant Allemand. On comprend vite que Lucile est une épouse malheureuse qui réfrène, aux yeux d’un village partagé entre collaboration et résistance, ses sentiments coupables. Christiane Millet en dame patronnesse et Emmanuelle Bougerol en domestique pleine de vie complètent ce beau quatuor d’actrices autour du beau Samuel Glaume dans une scénographie efficace qui joue sur la transparence des murs et l’opacité des secrets. Et le roman puissant d’Irène Némirovsky arrêtée et déportée en 1942, qui ne sera publié qu’en 2004, est une véritable plongée dans la tourmente d’une époque troublée par les intérêts et les passions que Virginie Lemoine, avec Stéphane Laporte, adapte et met en scène avec beaucoup de justesse et de finesse.
Théâtre du Balcon, 19h
Illusions
“Nous vivons dans un monde que nous croyons dur mais qui en fait est tout mou.” Quand Sandra raconte l’histoire d’amour vécue avec son mari qui vient de mourir, elle prend la forme d’un véritable conte de fées mouillé par les larmes du partage, de la générosité et de la tolérance absolue envers l’autre. Quand on apprend ensuite que cette même Sandra, épouse fidèle et incorruptible, est restée secrètement amoureuse de Dennis, le meilleur ami de son mari défunt, qui lui faisait les yeux doux, la tête commence à nous tourner et le monde des certitudes à vaciller. C’est de ce manège incessant entre la fausse solidité de nos certitudes et la vérité de nos illusions dont parle cette magnifique pièce d’Ivan Viripaev, ici mise en scène par Olivier Maurin avec un quatuor de jeunes comédiens épatants qui se fondent dans le public assis à une table rectangulaire, celle d’un repas d’obsèques clair et gai, dont chacun, à tour de rôle, va délivrer un récit fulgurant de mystère et de surprises. Et le public invité respire, écoute, vibre avec les récits des comédiens sur les chemins brumeux ou clairs de l’amour et de la vérité avec une bienveillante douceur.
11. Gilgamesh. Belleville, 17h05
L’effort d’être spectateur
Quelle est la différence entre un porc et un spectateur de théâtre ? Qu’est-ce qui nous pousse, nous contraint à rester assis une heure au minimum sur un fauteuil au confort variable, à écouter, voir et réfléchir, en dormant parfois, face à des spectacles plus ou moins réussis dont l’écriture, la mise en scène et l’engagement des comédiens peuvent varier du néant au génial ? Pierre Notte, auteur, musicien, metteur en scène et comédien, qui fut aussi journaliste, secrétaire général de la Comédie-Française et est actuellement auteur et conseiller littéraire au Théâtre du Rond-Point, se présente devant nous en chapeau claque, gants de boxe rouges et costume noir d’acrobate pour nous parler de tout ce qui l’anime, l’habite, le fait vibrer depuis son enfance : l’art d’être spectateur. Malin comme un singe savant, érudit comme Bernard Dort, cet acrobate du verbe et de la langue, qui joue aussi avec son corps, est également un merveilleux pédagogue qui va, durant un peu plus d’une heure, gesticulant au centre de sa guirlande lumineuse de cirque, nous raconter la magie laborieuse du spectateur qui doit tout inventer, casser les codes, se saisir d’une liberté inouïe, plonger du “rang des assassins” au rang des spectateurs de notre catastrophe, celle d’être en vie. Kafka, Godart, Koltès, Duras ou Cantarella sont les complices littéraires de ce voyage passionnel et passionnant dans lequel il nous embarque sans une once d’ennui.
Théâtre des Halles, 14h
On n’aura pas le temps de tout dire
Quand on est clown, acteur, directeur du Théâtre du Prato à Lille, et qu’on a roulé sa bosse dans tous les théâtres et sur toutes les routes de France, qu’on a tourné au cinéma et qu’on est poète à ses heures, un plateau vide, un concertina dans les mains et juste une chaise d’école suffisent à planter un décor de rêve. Gilles Defacque plante son regard bleu dans les étoiles, les yeux écarquillés vers nous, et nous délivre ses rêves d’enfant, sa jeunesse dans les corons du Nord, ses angoisses d’acteur. Eva Vallejo le met en scène délicatement, l’accompagne dans son parcours de clown inquiet et nostalgique, lui qui fait du vide son monde, et son complice de scène Bruno Soulier, musicien aguerri et poète de la note, sculpte l’espace avec son piano déchaîné, rock ou blues, mélancolique ou tonique, pour border son chemin. Un voyage d’artiste qui s’invente des mondes pour nous y faire pénétrer, rêver, nous perdre, qui est le premier opus des Portraits d’acteur proposés par la compagnie L’Interlude.
Manufacture, 13h55
Louise
Louise, c’est la comédienne Nicole Calfan pour laquelle Grégory Barco, jeune comédien déjà auteur et metteur en scène, a écrit ce monologue. Actrice de théâtre, Ruy Blas à la Comédie-Française en 1968 fut son premier spectacle, et de cinéma, d’Henri Verneuil à Alex Lutz, elle est aussi l’auteur de romans et a conservé cette voix rauque, inimitable qui fait son charme. Pour son premier Festival d’Avignon, elle nous reçoit dans l’intimité précieuse de sa chambre, celle de Louise allias Nicole, sans que l’on puisse exactement dissocier l’une de l’autre tant le jeu de l’actrice est naturel, généreux et semble spontané. Et c’est cette offrande, cette générosité envers le public venu la voir jouer qui est la première réussite de cette création. Louise est une femme attachante, née durant la Deuxième Guerre mondiale d’un père gendarme qui a encadré la déportation des Juifs au Vél’ d’Hiv et est resté silencieux pendant un an. Études minimales, petits boulots et c’est l’arrivée à Paris dans les années 70 et le début d’une vie de prostituée au grand cœur, abîmée par une passion amoureuse dont elle ne se remet pas. Le texte est drôle, enlevé, habile, et permet à l’actrice, avec Bertrand Degrémont, un chaleureux moment de partage.
L’Arrache-cœur, 17h05
Convulsions
Quelle astucieuse idée de transposer la tragédie de Sénèque, Thyeste, en la modifiant bien sûr pour adapter l’histoire à notre société actuelle ! Le tout jeune Hakim Bah se saisit de la haine entre les deux frères, Thyeste et Atrée, face à un destin glorieux et pris au piège par un amour interdit, pour évoquer la violence masculine aujourd’hui, celle infligée aux femmes, le machisme et la manipulation des groupes humains auxquels on fait miroiter un Eldorado scintillant. Le metteur en scène Frédéric Fisbach monte la pièce avec six jeunes comédiens, trois garçons et trois filles, qui réalisent un remarquable travail choral. La scénographie sommaire, un paravent, un banc, des projecteurs, une table, leur permet de jouer le texte frontalement ou dissimulés, de sorte que l’on ne voit pas les scènes trop violentes. Il y a un mélange très baroque de styles d’écriture dans le texte, qui va du boulevard au documentaire, de la tragédie à la peinture sociale, qui provoque la surprise du spectateur, d’autant que la pièce est fragmentée parfois par les didascalies. Les répliques sont savoureuses, crues, burlesques, réalistes ou cruelles, et les comédiens offrent au public un miroir limpide mais non complaisant de nos comportements prédateurs.
Théâtre des Halles, 19h30
Ich bin Charlotte
Sur une scène semblable à un petit musée, où s’entasse une quantité impressionnante de meubles, de pendules et de bibelots, et que les faisceaux de lumière artificielle viennent lécher, caressant l’ébène et l’acajou, l’acteur Thierry Lopez, bas résilles noirs et talons hauts, raconte l’histoire de son personnage, Charlotte von Mahlsdorf, en nous faisant visiter son musée. Née Lothar Berfelde, elle passe toute sa jeunesse à Berlin sous le IIIe Reich, s’opposant à son père qui désire le voir – c’est encore un garçon – s’inscrire aux Jeunesses Hitlériennes. À 16 ans, Lothar devient définitivement Charlotte et subit d’abord la persécution des Nazis, puis des communistes lors de la partition de Berlin Est après la guerre, qui font la chasse aux travestis et aux homosexuels. Ambigu à souhait, souple comme un danseur aux jambes élancées, Thierry Lopez, mis en scène par Steve Suissa, a trouvé là un texte en or qui lui permet, grâce à l’adaptation française de Marianne Groves, de passer tel un caméléon d’un personnage à un autre. On découvre ainsi le milieu interlope de Berlin dans les années 50 et la manière dont Charlotte a protégé les homosexuels persécutés. Mais, surtout, on a beaucoup de plaisir à voir jouer Thierry Lopez, éblouissant de virtuosité et talent, magnanime et pourtant mystérieux.
Chêne Noir, 20h45
Dieu habite à Düsseldorf
On ne présente plus Sébastien Thiéry, l’auteur de Sans ascenseur, Momo, Deux hommes tous nus… Ses premiers sketches, dont la pièce Dieu habite Düsseldorf, ont déjà la saveur de ce qui fait aujourd’hui son succès : un sens inouï de l’absurde, des dialogues surréalistes mais qui font mouche, des situations et des personnages baroques, qui empruntent suffisamment au réel pour nous concerner cruellement et qui décollent soudain dans le fantasque et le fantastique. Renaud Danner et Éric Verdin, comédiens chevronnés, se sont saisis de la pièce et des sketches dont ils ont monté des extraits dans un décor blanc et orange très années 70. Tour à tour bourreau ou victime, leur candeur, leur solitude les poussent à engager des conversations délirantes de banalité et de ridicule, qui virent au cauchemar. En costume-cravate, regard impassible, les deux acteurs sont impayables de drôlerie et poussent très loin le bouchon de la causticité. C’est diablement tonique et très surprenant.
Théâtre du Petit-Louvre, 22h
Une bouteille à la mer
Adapté du roman de Valérie Zenatti, ce spectacle fait dialoguer en toute simplicité deux adolescents, Tal, une étudiante israélienne, et Naïm, un jeune de Gaza. À la source de ce dialogue formidable d’intimité et de liberté, une bouteille jetée à la mer par Tal, avec une lettre roulée à l’intérieur que Naïm va découvrir. Les questions, les doutes, les interrogations de la jeune Juive qui vit à Jérusalem vont percuter le jeune homme, d’abord très fermé et méfiant, puis petit à petit plus ouvert, plus compréhensif. Dans la sobre mise en scène de Camille Hazard, qui a adapté judicieusement le texte, Eva Freitas (Tal) et Aurélien Vacher (Naïm) parviennent à tisser une rencontre riche en émotions, jamais manichéenne, toujours juste quant à la vérité de chaque personnage. Les attentats à Jérusalem, la pauvreté à Gaza, la difficulté de circuler à travers les territoires occupés, le raidissement de la politique militaire depuis les accords d’Oslo forment la toile de fond d’un dialogue spontané, poétique, souvent bouleversant entre les deux jeunes gens. Sans jamais se regarder, face public, ils livrent ce qu’ils ont de plus intime, malgré les bombes et les blocus. Leur volonté de dialoguer, d’échapper aux clichés, aux rancœurs et à la haine. Leur désir de paix. C’est très beau.
Théâtre du Petit-Louvre, 11h
Hélène Kuttner
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