Avignon 2015 épisode 4 : Preljocaj se fait détrôner par Virginia Woolf
Retour à Berratham De Laurent Mauvignier Création d’Angelin Preljocaj Les 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24 et 25 juillet Réservation par tél au 04 90 27 66 50 ou en ligne Durée : 1h45 Cour d’honneur du Palais des Papes Une chambre à soi De Virginia Woolf Mise en scène Sylvie Mongin-Algan Du 4 au 26 juillet à 15h40 Réservation au 04 90 89 82 63 ou 04 90 82 74 42 ou en ligne Durée : 1h15 Théâtre Girasole |
Et de deux ! Décidément cette année, la Cour d’Honneur du Festival In ne produit pas l’enthousiasme tant rêvé. Après un « Roi Lear » mitigé, la dernière création d’Angelin Prejlocaj sur un texte de Laurent Mauvignier s’est fait huer lors de la première vendredi soir. Dans le festival Off, au Girasole, « Une chambre à soi » de Virginia Woolf est d’ores et déjà une réussite proposée par la compagnie Les Trois Huit. Tragédie contemporaine « Retour à Berratham » est une commande du chorégraphe Angelin Preljocaj qui fête aujourd’hui ses trente ans de créations saluées dans le monde entier, au romancier Laurent Mauvignier. L’histoire d’un jeune homme qui revient au pays de son enfance sur les traces de son amour pour la jeune Katja, alors que la région est dévastée par les guerres ethniques, les viols et les exactions en tous genres. A travers le prisme de la violence masculine, des gangs et des menaces, il revit la cérémonie de son mariage, le bonheur et les larmes en rêvant d’un monde qui n’existe pas. Le projet de mêler l’inconscient de la danse et du mouvement aux phrases concises, précises et âpres du romancier apparait comme une idée formidable, ambitieuse. Pourtant, dans cette scénographie au réalisme esthétisé du plasticien d’Adel Abdessemed, cernée par de hauts grillages qui dominent des carcasses de voitures cramoisies et des sacs poubelles, l’alliage a du mal à prendre. Les trois narrateurs Emma Gustafsson, Laurent Cazanave et Niels Schneider semblent appuyer une diction qui fait résonner inégalement l’écho intime du texte, alors que les danseurs, grappes de corps superbes à l’élégance néo-classique, sont toujours somptueux à regarder. Il y a dans le spectacle des moments d’intensité remarquable, notamment lors de la cérémonie de mariage où Katja, blonde et nue sous l’armature hémisphérique de sa robe, se débat en soubresauts haletants et électriques dans des lumières spectrales. Très belle scène aussi que ce duo amoureux et déchirant de deux corps s’étreignant sur le capot d’une voiture, tels un Roméo et une Juliette bravant la rage de leurs familles respectives. Une chorégraphie élégante et sensible, certes, mais qui ne parvenait pas à entrer de manière convaincante en résonance avec le texte dans cette immense scène ouverte qu’est la Cour d’Honneur. Gageons qu’à Chaillot, où le spectacle est programmé cet automne, il puisse gagner en cohésion. Avoir une chambre à soi « Une chambre à soi » est un texte magnifique, brûlant de l’indignation de Virginia Woolf de voir ses compatriotes féminines ne pas pouvoir bénéficier des mêmes droits que les hommes, notamment concernant le droit de posséder de l’argent ou de bénéficier d’un espace privatif. Dans ce livre qui eut rapidement beaucoup de succès en 1929, Virginia reprend des conférences qu’elle donna dans des universités réservées aux femmes sur la place très réduite de celles-ci dans la littérature. Sa thèse est d’une limpidité à toute épreuve : si très peu de femmes sont parvenues à être poètes, auteurs de théâtre ou romancières, c’est qu’elles n’en avaient ni le temps, ni les moyens, ni l’espace pour pouvoir développer une créativité artistique, trop occupées à tenir la maison et s’occuper de leurs marmots. A une époque où le sexe féminin n’avait ni le droit de s’installer à une terrasse de restaurant, ni le droit de pénétrer dans une bibliothèque, la belle Anglaise en parle avec un humour et une ironie mordante, un sens de l’anecdote et une précision pédagogique lumineuse. La comédienne Anne de Boissy, installée dans un impressionnant parc de jeux pour jeunes enfants, fait de barrières métalliques (Carmen Mariscal), est l’auteur qui nous interpelle de derrière ses barreaux. En collant et pourpoint Renaissance, elle a l’allure de la soeur rêvée de Shakespeare à la présence vibrante, fixant son public de ses grands yeux noirs. Seule face public et dans son parc qu’elle déconstruit au fur et à mesure que son discours évolue, subtilement éclairée, la comédienne réussit une formidable performance, celle de nous faire comprendre dans les moindres détails la pensée en action de Virginia Woolf, se saisissant d’une cigarette ou d’un livre, vibrante de vitalité et d’énergie, complice émouvante et entière d’un auditoire à séduire. Dirigée à la perfection par Sylvie Mongin-Algan, elle captive les spectateurs en les embarquant dans le plus riche des voyages, celui qui éclaire les failles obscures et complexes de notre monde… pour conquérir une chambre à soi ! Hélène Kuttner [ Crédit Photos : © Christophe Raynaud De Lage et Lorenzo Papace]
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