Avignon 17, troisième épisode : Simon Stone embrase le Festival In avec « Ibsen Huis » et Denis Lavant le Off avec Beckett
Ibsen Huis De Simon Stone d’après Enrik Ibsen Mise en scène de Simon Stone Jusq’au 20 juillet à 22h Tarifs : de 10 à 29 euros Réservation en ligne ou par tél. au 04 90 14 14 14 Durée : 4h Cloître du Lycée StJoseph Cap au pire De Samuel Beckett Mise en scène Jacques Osinski Jusqu’au 29 juillet à 22H, puis du 5 décembre 2017 au 14 janvier 2018 Tarifs : de 10 à 22 euros Réservations en ligne ou au 04 32 76 24 51 Durée : 1h25 Théâtre des Halles |
Le jeune metteur en scène australien Simon Stone se produit pour la première fois au Festival d’Avignon avec les acteurs du Toneelgroep Amsterdam autour des oeuvres d’Ibsen revisitées à l’époque contemporaine. Le résultat est éblouissant de puissance et d’émotion. Dans une scénographie transparente, une maison de vacances ouverte aux regards, des membres d’une même famille s’épuisent à vaincre l’infernale spirale des perversités et des névroses. Au Théâtre des Halles, Denis Lavant, dirigé par Jacques Osinski, nous offre la prose singulière et énigmatique de Samuel Beckett. Mais qui sont ce personnages qui traversent cette grande maison de vacances, de verre et d’acier, dont l’intérieur cosy et scandinave appelle la quiétude et la chaleur familiale ? Derrière les apparences lisses de la bourgeoisie protestante, c’est bien l’orage qui gronde, le feu qui frémit. Et le jeune couple qui s’apprête à prendre le petit déjeuner, Léna et Jacob, est juste prêt à rompre leurs fiançailles. Elle veut revoir son ancien fiancé qui ne peut se passer d’elle, alors que ce dernier est inconstant et peu fiable. La pièce commence en 1974, et les acteurs conserveront leurs personnages, avec enfants et petits enfants, en 2004, puis retour dans le passé de 1969. Et ils sont prodigieux, ces acteurs qui passent en un tour de manège scénographique de l’époque des beatniks à celle du tout numérique. Car la maison, géniale boite à jouer dont les baies vitrées et fenêtres diverses donnent à voir plusieurs scènes à la fois, tourne de manière incessante sur elle même, brouillant la chronologie et les temporalités pour mieux souligner la persévérance des secrets et des névroses familiales qui eux demeurent. Naturellement, Enrik Ibsen dépose dans ce spectacle son empreinte profonde, avec un père autoritaire et architecte qui ressemble étrangement à Solness le Constructeur. Son pouvoir absolu, sa paranoÏa et sa jalousie (saisissant Hans Kesting), vont détruire ses relations familiales. « Les Revenants », « Un ennemi du peuple », Une maison de poupée » ou « Le Canard sauvage » apparaissent en filigrane des personnages et des situations, mais totalement réinterprétés par la personnalité des acteurs et le metteur en scène qui s’en saisissent dans leur chair. Du coup, on songe beaucoup aussi à Bergman en voyant le spectacle, à Lars Von Triers, car Simon Stone apparait comme un maître de la direction d’acteurs qui ne souffre ici d’aucune approximation. Car tout va ici très vite, le paradis familial cède vite la place au purgatoire et à l’enfer. Cauchemar de l’inceste, du sida, de la drogue, des rivalités professionnelles masculines qui vont marquer au fer rouge les membres de la famille, cauchemar d’une mère complice et couvrant tous les vices pour protéger son mari, cauchemar de l’homosexualité cachée et rejetée, autant de blessures, de traumatismes qui vont pousser les personnages à la survie. Durant les 4 heures de cette saga hallucinante, dont les dialogues, sur titrés en français, s’échangent à la vitesse de la lumière, le spectateur n’a pas une minute de répit. D’ailleurs, le metteur en scène ne lâche rien, perpétuant la cruauté et la violence paroxystiques des rapports humains. Théâtre total, dérangeant, paroxystique, porté sur le vif par les comédiens dans leur chair qui se sont appropriés totalement les protagonistes, Ibsen Huis nous saisit à la gorge pour ne plus vous lâcher, KO debout avant d’applaudir cette merveille. Cap au pire : la nuit de mots de Samuel Beckett par Denis Lavant C’est un spectacle rare, fort, exigeant que celui que propose Jacques Osinski dirigeant le comédien Danis Lavant dans cet ultime texte de Beckett, écrit en anglais et traduit tardivement par Edith Fournier (éd.Minuit). Dans une pénombre épaisse qui va en s’éclaircissement doucement, bougie qui lentement s’enflamme pour disparaître à la fin, Denis Lavant, debout, pieds nus plantés sur une dalle de lumière blanche, va incarner littéralement, habiter les mots de Beckett, ses bouts de phrases éparses, ses adverbes litaniques et ses silences. C’est un voyage autour du vide, de la disparition, de la figure tremblée, imprécise d’un vieil homme et d’un enfant. Un voyage qui s’appuie sur la fragilité vivante d’un langage en perdition du sens. Denis Lavant, dans une concentration de sphinx, les attrape comme des cailloux, les polit comme des galets, ou comme des bonbons que l’on suce. Les mots ici procèdent par combinaisons d’antithèses et d’analogie. Ce sont des souffles de vie volés au quotidien, des balles enfantines que l’on se renvoie en inversant la phrase. Des mots, des bouts de phrases croqués à la manière d’un Daumier, silhouettes esquissés, aussi fines que des sculptures de Giacometti. On l’écoute captivés par la puissance magique de cette incarnation toute personnelle. Hélène Kuttner A découvrir sur Artistik Rezo : [Crédits Photo 1 : © Christophe Raynaud De Lage/photo 2 : © Pierre Grosbois ] |
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