Avignon 16, deuxième épisode : les coups de coeur du In et du Off
Tristesses De et mise en scène par Anne-Cécile Vandalem Avec Vincent Cahay, Anne-Pascale Clairembourg, Epona Guillaume, Séléné Guillaume, Pierre Kissling, Vincent Lécuyer, Bernard Marbaix, Catherine Mestoussis, Jean-Benoît Ugeux, Anne-Cécile Vandalem et Françoise Vanhecke Jusqu’au 14 juillet à 18h Durée : 2h15 Gymnase du Lycée Aubanel Grisélidis D’après Grisélidis Réal De et avec Coraly Zahonero accompagnée de Hélène Arntzen (sax) et Floriane Bonanni (violon) Jusqu’au 30 juillet à 18h, relâche les 14, 21 et 28 juillet 2016 Durée : 1h10 Réservation au 04 32 76 02 79 Théâtre du Petit Louvre We love Arabs De Hillel Kogan Avec Hillel Kogan et Adi Boutrous Jusqu’au 24 juillet à 10h40 (navette Manufacture) Durée : 45 mn Réservation au 04 90 85 12 71 La Manufacture Sous la Glace De Falk Richter Mise en scène Vincent Dussart Avec Xavier Czapla, Patrice Gallet et Stéphane Szestak Jusqu’au 30 juillet à 15h25 Durée 1h15 Réservation au 04 90 88 47 71 |
Il arrive qu’on soit éblouis par un spectacle. « Tristesses » d’Anne-Cécile Vandalem a été une révélation de justesse et d’émotion dans le Festival In. Dans le Off, « Grisélidis » par Coraly Zahonero, « Sous la Glace » de Falk Richter et « We love Arabs » de Hillel Kogan sont nos premiers coups de coeur. Une artiste belge, une actrice française, un auteur allemand et un chorégraphe israélien font des étincelles.
Tristesses : la dérive humaine d’une ile du Danemark Sur une petite ile au Nord du Danemark, Tristesse, ne vivent plus que 8 personnes dont une vieille dame que l’on vient de retrouver pendue au drapeau danois. L’économie de l’ile a été ruinée par la fermeture des abattoirs et plusieurs exploitants se sont déjà donné la mort, ne laissant sur l’ile que le pasteur, le maire qui est membre du Parti du Réveil Populaire ainsi que son fondateur, Käre Heiger, père de la future Premier Ministre, Martha Heiger, une jeune femme ambitieuse partie depuis longtemps pour faire carrière sur le continent. Le maire a une épouse et deux filles, et avec leur voisine ils accueillent le retour de Martha qui vient pour ramener le cercueil de sa mère Ida. Dans une atmosphère crépusculaire, une lumière grise nimbe les quelques maisons du village, plantées là comme des cubes de Lego. Les comédiens, plus vrais que nature, incarnent les âmes frustrées et bourrues qui se partagent rageusement ce lopin de terre : le maire se prend pour un shérif macho, vulgaire et despotique; sa femme essuie ses larmes dans une posture de victime dépressive; la voisine ronge son frein comme un chien de garde en cherchant à révéler sans succès les secrets de la famille, tandis que le pasteur, qui en sait beaucoup trop sur le combines du Parti au pouvoir, se tait. Seules les deux adolescentes, dont l’une d’elle est devenue muette à la suite de tous ces suicides, vont percer un front de liberté dans cet imbroglio de compromissions politiques et financières. Car la fille prodige, futur premier ministre, compte bien liquider l’histoire de l’ile en en faisant un terrain pour studios de cinéma destinés à de la propagande nationaliste et xénophobe de son parti. Anne-Cécile Vandalemen a écrit et mis en scène cette fable en forme de scénario bouleversante, elle y joue le rôle de la fille. Des musiciens, morts-vivants de l’ile, interviennent avec une grâce infinie tandis que les comédiens chantent, tout en étant filmés à l’intérieur des maisons et du temple protestant. Ce mélange de théâtre et de cinéma, original et inventif, qui poursuit les comédiens comme si le spectateur voyeur les épiait dans leur intimité, procure un extraordinaire sentiment d’émotion. Le propos ici développé, celui d’un peuple dont la mémoire et l’histoire sont confisquées par un parti nationaliste prédateur qui les soumet au chantage, s’incarne dans une peinture humaine totalement bouleversante et juste. Souvent drôles, cruels, affreusement brutaux, les dialogues annoncent l’escalade des égoïsmes et de la lutte pour la survie des individus délaissés par la société, prêts à s’entretuer. C’est magnifique. Grisélidis : prostituée pour l’humanité « Je suis passée de l’autre côté, celui d’où on ne revient plus. » Ainsi s’exprime Grisélidis Réal, femme libre, écrivain, peintre et courtisane suisse, qui fit de sa vie de prostituée un combat de vie, d’indépendance et de liberté. Dans son unique roman autobiographique « Noir est une couleur », mais aussi dans ses nombreuse lettres et poèmes, elle fera de la prostitution un art de vivre, une science humaine, accusant la société d’hypocrisie et de mensonges vis à vis d’une pratique salutaire mais condamnée par la morale judéo-chrétienne. « Ma mère m’a assassinée, a brisé ma sexualité » clame-t-elle. De cette enfance massacrée dont elle prendra royalement sa revanche en marge de la la loi, s’enfuyant avec un GI noir américain rencontré dans un bordel, elle prendra le contre pied en sauvant sa propre vie et celle des hommes, cohorte infinie de pauvres et de riches, frustrés ou impuissants, qui passera dans son lit. S’emparant de ces écrits brûlants, provocants, fulgurants de beauté, Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie Française, en fait un spectacle haletant, entourée de deux merveilleuses musiciennes, au violon et au saxophone, qui ponctuent son propos. Sorcière généreuse, Gitane au grand coeur, infirmière des âmes, Coraly est une Grisélidis magnifique et gouailleuse, tendre et sulfureuse, dans sa robe de satin noir et son regard félin. Sa voix rauque et son petit accent helvétique nous ont ensorcelés. We love Arabs : auto-dérision et houmous Ne ratez pas ces quarante-cinq minutes de théâtre dansé proposé par l’Israélien Hillel Kogan, chorégraphe et Adi Boutrous, danseur. Car cet opus est unique en son genre. Un chorégraphe, Hillel, recherche un danseur arabe pour créer un projet sur la paix et la réconciliation des peuples. Débarque Adi, un jeune Arabe, qu’il embarque dans son projet identitaire et multi-culturel. Or, au lieu d’un partage et un échange de sensibilités artistiques, le chorégraphe en vient à discourir de manière totalement nébuleuse sur l’identité et les systèmes chorégraphiques, enchaînant clichés et approximations, et surtout assommant son partenaire d’injonctions au lieu de laisser s’exprimer sa part de créativité dans la danse. L’un est maître du discours et des systèmes de pensée, l’autre n’a que la danse comme mode d’expression, et ses yeux bleus pour approuver ce qu’il ne comprend pas trop. Heureusement, de ce ridicule conceptuel va naître une création hybride, une lutte amoureuse avec couteau et fourchette dans le désert, où les deux danseurs, dans une quête acharnée de communion et d’amour, vont finir par se tartiner le visage avec du houmous, symbole du plat national israélien. La danse alors se mue en partage naturel d’un mouvement qui échappe aux peurs et aux pulsions de rejet. Ces quarante cinq minutes de spectacle sont un remède tonique et chaleureux à conseiller à tous les publics. Sous la glace : dans la spirale infernale des entreprises Falk Richter est un jeune auteur de théâtre allemand (« Das System » créé par Stanislas Nordey au Théâtre de la Colline) qui est depuis quelques années en résidence à la Schaubühne de Berlin. Son écriture haletante, poétique, rageuse et très personnelle s’attache à dépeindre le malaise des citoyens que nous sommes face au ravage de la surconsommation et du capitalisme carnassier. Ici, trois jeunes consultants d’entreprise sont chargés de remodeler les systèmes par des audits délirants. A chaque problème sa solution, puisque les hommes valent moins aujourd’hui que les objets qu’ils ont fabriqués. L’un dégraisse et met à la poubelle les vieux et les incapables, comme on jette les chats par une fenêtre quand ils deviennent inutiles. Le second organise des comédies musicales avec phoques et otaries pour faire pénétrer la culture et le sexe comme dérivatifs au travail. Mais le troisième, égaré comme Tintin au Tibet face à un redoutable homme des neige éclairé sur le plateau, y perd son latin, ses moyens et son âme, pas assez complétif, pas assez rapide, pas assez efficace. « Sous la glace » est une parabole sans concession dans la peinture de notre monde actuel, incarnée par trois comédiens épatants dans des lumières glacées et une musique techno. Vincent Dussart met en scène avec brio Xavier Czapla, Patrice Gallet et Stéphane Szestak dans cet apocalyptique mais très percutant conte de fées. Hélène Kuttner [ Crédit Photos : © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon, Vincent Pontet et Corinne Marianne Pontoir] |
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