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« Avidya, fascinante auberge japonaise au T2G »

26 septembre 2018
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©Shinsuke Sugino

Avidya-L’Auberge de l’obscurité est écrit et mis en scène par le japonais Kurô Tanino. Tel un voyage immobile, le spectacle se déroule dans une auberge où se trouve une source thermale. Les traditions et la modernité du Japon s’entrelacent en un tableau tournant dont tous les côtés sont fascinants, dominés par une irrésistible sensualité.

Fixée sur un dispositif rotatif, l’auberge donne à voir successivement ses chambres ainsi que le patio central puis notamment la salle des bains avec la source thermale. Situé au fond de la vallée des enfers, c’est donc un huit clos qui a lieu et qui se développe dans un rythme lent, à la manière d’un rouleau pictural et sonore que l’on tournerait patiemment. L’auberge prend vie quand entrent deux marionnettistes venus donner un spectacle, un fils et son père qui a la particularité d’être atteint de nanisme. Petit à petit arrivent les villageois, deux geishas, Matsuo qui souffre de cécité, une vieille femme sans enfants nommée Taki ainsi qu’un sansuke. Celui-ci est un homme qui exerce un métier datant de l’époque Edo du Japon, soit au début du XVIIe siècle, et aujourd’hui disparu. Gardant toujours le silence, il est chargé de laver et prendre soin des clients allant jusqu’à féconder les femmes qui ont du mal à être enceintes.

©Shinsuke Sugino

L’esthétique de la scénographie crée une subjuguante lenteur émaillée des rires, des chants et de la musique traditionnelle des geishas qui envoûtent l’assistance en jouant du luth. L’intérieur chaleureux de l’auberge laisse percevoir l’extérieur, tantôt par le coulissement d’une cloison tantôt par l’ouverture d’une fenêtre. Le froid de la nuit qui tombe, un murmure d’insectes dans l’épais feuillage qui se balance devant les carreaux embués, la présence des éléments environnants est constante. Ce contraste entre intérieur et extérieur résonne avec le contraste entre les temps anciens et à venir, de même que l’enchevêtrement des âges à travers le père atteint de nanisme et qui pourrait par sa taille être l’enfant de son fils. Prend forme alors la fable philosophique que contient le spectacle, métaphore du glissement du temps qui balaie les codes anciens, puisque l’auberge est appelée à être prochainement démolie pour céder la place à une ligne de chemin de fer à grande vitesse.

Jusqu’à la nudité des corps qui s’immergent dans le bain thermal, tout concourt progressivement à une captivante volupté, dans laquelle il suffit au spectateur de se plonger également. Tandis que l’homme presqu’aveugle essaie obstinément de voir à travers  le toucher, le père marionnettiste et son fils toujours impassible acceptent de ne pas saisir avec exactitude le cœur des choses ou des êtres. Bien que n’ayant pas le public escompté dans l’auberge, ils acceptent de jouer un extrait de leur spectacle pour les quelques occupants du lieu, et la marionnette utilisée exacerbe alors les angoisses, les désirs et toute la palette des pulsions et des émotions humaines portées par la chair et la matière. Avidya qui désigne le premier des douze maillons du bouddhisme et signifie obscurité ou illusion prend alors admirablement son sens. Kurô Tanino et les magnifiques comédiens dont les gestes, les paroles et les déplacements sont à eux seuls une extraordinaire transcription du temps qui s’écoule, offrent un spectacle où la beauté de la vie, le tréfonds de l’âme et des corps jaillissent comme l’eau de la source.

Emilie Darlier-Bournat

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