Avec “Gravité”, Angelin Preljocaj explore les planètes
Une pièce intense mais filigrane, abstraite et romantique à la fois, où l’on rencontre l’essence même de l’univers chorégraphique d’Angelin Preljocaj. À Chaillot, ce maître de ballet contemporain soumet le corps à un éventail d’états de corps différents, en imaginant une croisière chorégraphique interstellaire. Et si la vie sur Terre était née en dansant ?
Imaginez que vous puissiez voyager de planète en planète, comme vous passez peut-être, certains soirs, d’un bar à l’autre. De Jupiter à Mars, de Vénus à Saturne… Chaque fois, vous rencontrez alors une autre force gravitationnelle et votre corps change de poids. C’est à partir de cette vision qu’Angelin Preljocaj a développé l’idée fondatrice de sa nouvelle pièce, où il renoue avec son versant de recherche sur le corps et le mouvement.
Le fondateur du Ballet Preljocaj et directeur du Centre Chorégraphique National d’Aix-en-Provence est bien connu pour développer deux genres de spectacles, à savoir ceux qui reprennent de grandes narrations ou mythes et d’autres où il cherche au contraire la beauté dans l’abstraction, mettant en valeur le mouvement et la relation entre les corps. Et c’est ainsi qu’il présenta le projet Gravité. Sauf que le synopsis, aussi fantaisiste et abstrait soit-il, se prête tout autant à raconter une histoire. Un voyage, c’est déjà une aventure…
Sur les traces des origines de la vie
On sait que la vie sur Terre est née dans les océans. Mais que serait notre planète sans le soleil ? Qu’ils se trouvent donc au fond de la mer ou sur le soleil avec sa chaleur et son énorme force gravitationnelle, les quinze danseurs sont d’abord cloués au sol, avant de se réveiller, lentement mais sûrement. Et puis, tout bascule et la compagnie déploie les différents univers de la danse signée Preljocaj, dans toute son étendue, sa dynamique, la précision du geste, sa poésie…
Sur quelle planète sommes-nous ? En voilà une qui semble peuplée d’insectes ou une autre où les histoires d’amour naissent d’une insoutenable légèreté. Mais Preljocaj ne mime pas le tour-opérateur. Pas de photos de planètes, ni pancartes. La danse seule fait le spectacle, en bonne intelligence avec la musique et les costumes. À chaque station – et donc à chaque planète – correspond un univers musical, comme un état de corps. Et Newton, Einstein, voire les cosmonautes russes se mélangent aux musiques de Bach, Daft Punk, Iannis Xenakis et Philip Glass.
Un nouveau regard sur le tutu
Côté textile, le couturier Igor Chapurin, russe et un brin rebelle mais à la fibre baroque bien trempée, a su capter les différents états de gravité, en noir et blanc, ici plutôt sobres et entièrement au service du corps en mouvement. La danse s’emballe ou elle résiste, le romantisme se faisant sa place, à partir d’une animalité particulièrement graphique.
On se laisse emporter par les images qui peuvent aussi nous parler de l’évolution de l’espèce humaine. De tableau en tableau, le tutu se décline ici en moult formes inattendues, comme si chaque planète en avait fait naître sa version particulière. Jusqu’à ce que deux femmes en casque noir dévoilent soudainement un duo qui nous projette vers la mort ou le Moyen Âge, faisant exploser les belles images jusque-là construites.
La fusion de deux univers
C’est la préparation d’un final où Preljocaj montre qu’il sait souder son groupe, même autour du Boléro de Ravel, hyperbole musicale des forces centrifuge et de gravitation qui régissent l’Univers. De cet air, probablement le plus galvaudé de l’histoire de la musique, les interprètes réussissent à extraire, par une chorégraphie dense et fluide, de nouvelles résonances émotionnelles. Gravité agit tel un accélérateur de particules chorégraphiques, fusionnant les univers de Preljocaj, du plus esthétique au plus singulier.
Thomas Hahn
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