Avec DV8, « John » sort par le haut
John De DV8 Mise en scène de Lloyd Newson Avec Lee Boggess, Gabriel Castillo, Ian Garside, Ermira Goro, Garth Du 9 au 19 décembre 2015 Tarifs: 15-32€ Réservation: 01 40 03 75 75 Durée : 1h20 Grande Halle de La Villette |
Du 9 au 19 décembre 2015 Le théâtre de danse documentaire de DV8 agit comme un révélateur des faces cachées de nos sociétés aux surfaces si belles et soignées. Révéler ce qu’on n’ose pas regarder en face par des spectacles à couper le souffle, voilà le concept de Lloyd Newson, fondateur de cette compagnie pionnière britannique qui s’installe à la Grande Halle de La Villette, en compagnie du Festival d’Automne. « John » est sans doute leur pièce la plus dure, mais aussi la plus exaltante. John existe. Il a vu le spectacle. Il l’a approuvé. John est d’accord, John n’a rien à cacher. Son récit de vie est digne des « Bas-Fonds » de Gorki ou autres descriptions d’une réalité sociale sordide. Et cette vie est la sienne. Chaque mot est tiré de son récit véridique et authentique, recueilli par la compagnie. Cette vie est pleine de violence, de drogues, de criminalité, de sexualité déviante. Avec « John », Lloyd Newson et sa compagnie retrouvent pleinement la signification de « DV8 » : dévier. Le vertige d’une descente aux enfers Mais il n’y a aucune condamnation morale. En huit entretiens, le John réel a livré son histoire, celle d’un être qui ne trouve pas la force de sortir du cercle vicieux de la délinquance et de la violence. Les délits et condamnations se comptent par dizaines. Dans une vie pareille, on est pris par le vertige. Newson restitue cette force centrifuge en plaçant le spectacle sur un plateau tournant. Murs, parois et portes permettent aux acteurs-danseurs de changer d’endroit en un tour de main, en passant par une porte. John est un prisonnier social et tourne en rond, tel un hamster dans sa cage. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=GHMOtrR4x7Q[/embedyt] Une contradiction apparente nous en dit long sur l’approche de Newson. La violence, la saleté – bref, tout le côté trash – est pris en charge par le texte. Sur le plateau, tout est clean, comme dans la vie que John aimerait mener et qui lui est inaccessible. Il serait inutile d’en rajouter, de stigmatiser visuellement cet enfant du Lumpenproletariat contemporain, de transformer le public en voyeurs. « John » est le contraire de la télé-réalité. La propreté des appartements permet aux interprètes de sublimer cette histoire par des exploits physiques stupéfiants. La réalité théâtrale fait sortir John par le haut. Après « Le Metope del Partenone » de Romeo Castellucci, c’est le deuxième spectacle à La Villette en l’espace de quelques semaines qui parle de ce que nous n’aimons pas trop regarder en face. C’est courageux, c’est salutaire, ça donne tout son sens à la mission du service public dans le spectacle vivant. Et en prime, on voit dans « John » des mimes-danseurs aux exploits époustouflants, en toute sobriété, sans paillettes ni guirlandes. On n’est pas au cabaret! Des exploits corporels stupéfiants Au côté documentaire de « John » répond une poétique du corps presque surréaliste. Les danseurs, ou disons ces mimes, se tiennent et se meuvent comme si leurs corps étaient suspendus à des fils, comme si un marionnettiste invisible leur permettait de se tenir dans des inclinaisons défiant les lois de la physique. Des illusions d’optique? Des projections? Tout est réel dans « John » et pourtant on a parfois l’impression de regarder un dessin animé ou des corps artificiels, tels des dummies, mannequins utilisés dans des crash test de voitures. Et en prime, ils disent ce récit de vie, en même temps qu’ils accomplissent leurs prouesses. Dans « John », le corps et le verbe semblent couler d’une même source. Newson et DV8 accomplissent une recherche commencée dans « To be straight with you » et continuée dans leur pièce précédente, « Can we talk about this? ». En revenant vers la narration, Newson trouve la matière idéale, car liée à des situations concrètes, pour fusionner la parole et le sous-texte qui s’exprime par le geste, du cartoon à l’acrobatie. L’inconfort de John et son manque d’espérance sont portés par une utopie corporelle qui se réalise face a public. Mais « John » est une pièce bicéphale, bien que relatant la vie d’une seule personne. Après avoir traversé les vertiges de violences, de maladies, d’effondrement social, le protagoniste réussit tout même un virage, à la fois social et sexuel. John et Lloyd Newson nous amènent dans un sauna gay. Là encore, le sordide est dans la description verbale, le jeu transpose tout dans l’inventivité corporelle. Là aussi, certains moments sont inoubliables. Mais ce séjour dans le réel, fruit du travail de trois chercheurs ayant abordé les clients pendant neuf mois, tourne en boucle. Dans cette seconde partie, trop longue, trop répétitive, « John » change de conflit, trouve un certain estime de lui-même, mais perd trop de son énergie. Ce qui ne change rien au fait qu’on voit là un spectacle exceptionnel. Thomas Hahn [ Photos: © Laurent Philippe]
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