Aurélien Bory / Kaori Ito – Plexus – Théâtre des Abbesses
Plexus Avec Kaori Ito Conception, scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory Chorégraphie de Kaori Ito Composition musicale : Joan Cambon // Création lumière : Arno Veyrat // Plateau et manipulation : Tristan Baudoin // Sonorisation : Stéphane Ley // Costumes : Sylvie Marcucci Du 4 au 17 janvier 2014 Théâtre des Abbesses |
Du 4 au 17 janvier 2014
Ouvrage commun de danse, cirque, arts plastique et visuels, Plexus étonne de bout en bout et regorge de phénomènes qui brouillent toutes les pistes. Effets spéciaux ou pas ? On n’est jamais trop sûr de ce qu’on voit, quand on se perd dans ce solo de la pétillante Japonaise qu’est Kaoti Ito. Le mystère règne, en toute beauté. Mais Aurélien Bory, metteur en scène, chorégraphe, et ici avant tout scénographe, insiste: « Non, il n’y a aucun effet spécial. » Pourtant, jamais l’image d’Ito n’apparaît « en clair ». Toujours brouillée, toujours codée. De fines membranes faites de lamelles verticales tranchent chaque apparition de la danseuse-acrobate. C’est la transposition spatiale de la découpe temporelle d’un mouvement par le stroboscope. Mais ici, l’œil du spectateur se perd complètement. Par rapport aux multiples membranes (mais combien sont-elles ?), Ito n’est apparemment ni devant, ni derrière, ni traversée par elles. Ses appuis sont immatériels, mais pas irréels. L’œil du spectateur tente de suivre, de décoder, de trancher : qu’est-ce qui bouge dans l’espace? Juste les aplats lumineux ou le rideau tout entier ? C’est finalement le plateau lui-même, suspendu et donc mobile. Suspendu comme Ito elle-même qui peut tenir, telle une marionnette, dans des positions précaires et improbables. A d’autres moments, elle se dissout sous nos yeux pour se transformer en Sylphide. On compte au moins deux effets de disparition à la Méliès. Ne reste d’elle qu’une robe flottant dans les airs, fortement secouée par ailleurs. Un spectacle sans effets spéciaux, vraiment ? Cinq mille fils synthétiques physiquement installés, voilà qui dépasse aujourd‘hui les moyens nécessaires pour produire des effets d’informatique. Quand Ito descend des cintres, avec tous les effets de brouillage visuel survenus jusque-là, on la prendrait volontiers pour un hologramme. Il faut y croire pour le voir. Voilà ce qu’on constate face à la danse d’Ito, tantôt robotique, tantôt éthérique mais rarement charnelle. Quand elle se fait avaler par la fente d’un tissu géant, s’agit-il d’une transformation en kami shintoïste? D’une disparition dans le cratère du mont Fuji ? Ou d’une inversion de Courbet, façon « origine du monde » ? On pourrait tout aussi bien apercevoir, derrière ses multiples ascensions, des motifs chrétiens. Une seule certitude: Jamais ses pieds ne touchent un sol stable. Qui est cette Kaori Ito, d’abord promise au ballet japonais, ensuite passée par Alvin Ailey pour devenir rapidement interprète de Decouflé et Thierrée, sans oublier ses collaborations avec Preljocaj et Cherkaoui ? Bory a tenté de créer un portrait à la fois artistique et humain. Au bout du compte il révèle aussi bien des états d’angoisse qu’un imaginaire de légèreté, d’ascension et de dissolution. Le résultat est donc un portrait en creux, dressé par des questions plutôt que par des réponses. Et Bory confirme ici qu’il est en première ligne pour interroger ce que la suspension circassienne, la verticalité et l’apesanteur ont à raconter quand on cherche à relier les racines d’une civilisation avec son avenir. Plexus n’épouse pas seulement la formidable capacité d’articulation qu’on aime tant chez Ito, mais aussi sa veine acrobatique. Normal, direz-vous, puisque Bory ne cesse de créer avec des collectifs circassiens à travers le monde. Mais en plus, il va ici sur le terrain du grand débat actuel dans la mise en scène/scénographie autour de l’image. Brouiller, faire disparaître, jouer avec le néant pour mieux révéler, mieux se faire désirer. Car de plus en plus, le jeu scénographique consiste à nous embrouiller en nous menaçant de devoir constater que ce que nous croyons voir est en train de nous filer entre nos cillements. Sans parler de toute la dialectique réel-virtuel qui est en train d’avaler nos repères épidermiques. Quand le mystère japonais se double de la beauté des technologies numériques, et inversement… Thomas Hahn [Photo © Mario Del Curto] |
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