Bouchaud et Châtelain défient la vie et la poésie avec talent
Le Méridien De Nicolas Bouchaud d’après Paul Celan Mise en scène d’Éric Didry Avec Nicolas Bouchaud Jusqu’au 27 décembre 2015 Tarifs : de 12 à 29 € Durée : 1h30 C’est la vie De Peter Turrini Mise en scène de Claude Brozzoni Avec Jean-Quentin Châtelain Jusqu’au 27 décembre 2015 Tarifs : de 12 à 31 € Durée : 1h30 Réservation en ligne Théâtre du Rond-Point M° Franklin D. Roosevelt |
À 18h30 et 20h30, Nicolas Bouchaud déclame du Paul Celan sous les toits du théâtre tandis que, au sous-sol, Jean-Quentin Châtelain s’approprie la prose poétique de Peter Turrini. Deux solos d’acteurs exceptionnels dans deux textes de grands écrivains, l’un Roumain de langue allemande, l’autre Autrichien d’ascendance italienne. Tous deux font vibrer la littérature de manière organique et magnifique.
Bouchaud-Celan : le souffle de la poésie Il l’avoue lui-même : Nicolas Bouchaud, acteur, passeur, transmetteur de poésie et de récits de vie (Serge Daney, John Berger), n’avait jamais lu la poésie de Paul Celan (Paul Antschel), poète juif roumain de langue allemande qui connut les camps de travail en Roumanie et dont les parents furent déportés. C’est le discours qu’il prononça lors de la remise du Prix Büchner, l’un des plus prestigieux en Allemagne, en 1960, dont le comédien s’empare avec une attention, une fougue et une passion qui font de ce moment de théâtre un moment unique. Dans Le Méridien, Celan y discourt officiellement sur l’acte poétique, en le définissant d’instinct comme un souffle de vie qui échapperait à l’art officiel. Il revisite Büchner et l’histoire de la Révolution française comme il nous parle de géographie avec l’axe d’un méridien qui partirait de soi-même vers les autres. Sur un plateau noir sur lequel il tracera à la craie des repères temporels et spatiaux, l’acteur fait des mots de Celan une matière amoureuse, poétique, souvent mystérieuse, qu’il s’efforce de toute son énergie de nous rendre claire. “Je ne vois pas la différence entre une poignée de main et un poème”, écrivait Celan qui contrait l’assertion d’Adorno pour qui “écrire un poème après Auschwitz est barbare”. Ce captivant spectacle, mis en scène par Éric Didry grâce au Festival d’Automne, nous invite à plonger dans l’œuvre singulière et totalement bouleversante de Paul Celan. Châtelain-Turrini : oratorio organique C’est un comédien de la démesure, rabelaisien et généreux, Jean-Quentin Châtelain, qui porte le très beau texte de Peter Turrini, dramaturge autrichien révolté qui, à 70 printemps, raconte sa vie avec ses fulgurances et ses éclats, dans l’intimité toujours cocasse et piquante de ses révélations. Sous la direction du metteur en scène Claude Brozzoni, complice de longue date de l’auteur qui lui a offert le texte, Jean-Quentin Châtelain, cheveux longs et dégaine de rockeur vintage en costard gris, parle dans un micro de variété, soutenu par deux musiciens interprètes, Grégory Dargent et Claude Gomez. L’enfance un peu ratée, l’incompréhension du monde paysan, le refuge dans les livres, déjà, quand on ne sait pas se battre avec les garçons et que les filles vous ignorent, l’éducation sexuelle parasitée par la timidité, Peter Turrini les raconte avec des mots crus, des phrases tendres et un humour dévastateur. L’ambiance musicale clairement rock et les vidéos naturalistes créent un univers chaleureux et expressif qui évoque la marginalité et l’hyper-conscience. Dans la salle à taille humaine, Jean-Quentin Châtelain épouse les affres sentimentales et les colères de l’auteur, comme le ferait son compatriote Thomas Bernhard. Animal et sentimental, brutal et tendre, humain jusqu’au dernier poil de sa barbe blanche, le comédien nous donne à imaginer cette vie d’artiste et d’ouvrier d’usine à la recherche d’un amour impossible, d’une amante maternelle et libertine qui le laisserait écrire à l’infini sur la plus belle île de la Grèce. Son parcours d’autodidacte, ses colères politiques contre l’Autriche, ses cris au théâtre, Jean-Quentin Châtelain les fait siens avec une rage et un souffle salvateurs et toniques. Ceux d’un art des temps anciens, qui réveillent le politiquement correct en nous enflammant le cœur. Hélène Kuttner
[Photos © Isabelle Fournier et Jean-Louis Fernandez] |
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