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Au Cirque Romanès, Israel Galván galvanise

Thomas Hahn 18 septembre 2018
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Gatomaquia d'Isreal Galván © Mat Jacob

Que fait donc Galván avec les chats des Romanès ? Pas grand-chose. Il a bien d’autres idées pour chauffer cette rencontre sous le chapiteau tsigane. La famille Romanès est là, avec poésie, danse, chant et acrobaties. Galván est leur invité d’honneur. Et le charme opère, comme toujours chez les Romanès. Avec le flamenco comme nouvel étendard.

« Gatomaquia » rappelle la tauromachie, c’est entendu. D’autant plus que Galván représentait bien le taureau dans « Torobaka », son fameux duo avec Akram Khan. Mais au Cirque Romanès, il y a des chats qui font partie de la famille. D’où le sous-titre du spectacle : « ou Israel Galván dansant pour quatre chats ». Alors, la méchante tauromachie serait-elle soluble dans la douceur d’un entre-chats ?

« J’ai une épouse, une belle-mère, trois filles et quinze chats. Tous sauvages, comme moi-même», blague Alexandre Romanès. Toute la famille est au rendez-vous, et elle a adopté Galván, peut-être au-delà du 22 septembre, date de la dernière. « Galván et Caracafé (le guitariste, ndlr) mangent avec nous, vivent avec nous. Et veulent partir en tournée avec nous, maintenant! » Romanès, un ancien ami intime de Jean Genet, est un poète tsigane et un acrobate de l’humour à sa façon.

© Mat Jacob

Famille bien composée

En regardant le rond de son chapiteau, avec les centaines de spectateurs réunis, il lâche: « Nous sommes au théâtre ! » Ce qui est une bonne blague, puisque ce lieu à l’âme chaleureuse et indomptable ne ressemble en rien à un théâtre. « Au Théâtre de la Ville », ajoute-t-il et savoure son effet. Car c’est effectivement le Théâtre de la Ville, hors les murs, qui présente « Gatomaquia » à la Porte Maillot, au square Parodi, refuge actuel du Cirque Romanès.

Où il fut au début plutôt mal accueilli, voire physiquement agressés dans ce quartier huppé. On les accusait notamment d’être, mais oui : Des voleurs de chats! Ce serait à miauler de rire, si la troupe n’avait pas été menacée de devoir mettre la clé sous la porte.

L’humour retrouvé du patron rassure. Et la même autodérision pimente en ce moment les cavalcades de Galván sous le chapiteau, où on le sent effectivement devenir un membre de la grande famille Romanès, qui a l’habitude de créer et interpréter ses spectacles dans la stricte intimité du cercle familial. Mais là où le charme de leurs spectacles réside dans la désarmante simplicité et leur véracité humaine, Galván ajoute sa virtuosité et toute la complexité de son mélange de zapateado et de duende.

Gatomaquia © Jean Couturier

Planchers musicaux

Au sol, il a distribué quatre petits planchers, et chacun d’entre eux joue un rôle musical, tout comme les sandales en bois ou les bottines rouges qui habillent les pieds du danseur, et parfois ses mains. Galván danse sur un vrai plancher de danse, dont il frappe les bouts qui deviennent à leur tour des instruments. Sur la cithare déposée au sol, il danse sans chaussures, les chats à ses pieds.

Car le sol est toujours un instrument, chez Galván. Le caisson en bois de toutes façons, creux qu’il est, parfaite caisse de résonance. Mais aussi le plancher en carbone qui se déplie et se replie, qui vibre jusqu’à faire chuter les casseroles qu’il portait. Où l’on comprend à quel point ils adorent manger ensemble tous les jours…

L’ambiance doit alors ressembler à celle que Galván fait régner, quand le public l’entoure sur 270°. Il y a là un flamenco à la bonne franquette, un art qui reste tellurique mais s’envole dans une légèreté et  une joie de vivre, dans un partage qui fait chaud au cœur et qu’on ne trouve pas dans les spectacles de Galván, quand il danse dans les lieux consacrés.

Gatomaquia © Mat Jacob

Liens historiques

La fusion si naturelle avec la famille Romanès – car Alexandre, son épouse Délia et leurs filles Alexandra, Rose-Reine et Irina apportent leurs charmes personnels – repose certes sur une chaleur humaine qui transforme bel et bien quelque chose en Galván. Mais il y aussi ces mille ans d’histoire commune du peuple tsigane et du flamenco, dans leur lente migration de l’Inde vers l’Espagne. Le monde du flamenco est conscient de ces racines, et Galván avait bien consacré son spectacle « Lo Real » aux tsiganes morts dans les camps d’extermination d’Adolf Hitler. Et Alexandre Romanès est, quant à lui, depuis longtemps engagé dans une lutte pour la reconnaissance de la culture tsigane.

Gatomaquia © Mat Jacob

Cabaret dada

« Gatomaquia » est-il donc un spectacle militant? Pas plus que ce qui se passait, en 1916, au Cabaret Voltaire, à Zürich. Les spectacles marquant l’avènement du mouvement dadaïste avaient la sagesse de détourner leur engagement, en faisant exploser les codes d’une culture. Joyeusement. Comme Galván le fait ici, dans un programme qui est un vrai cabaret tsigano-dadaïste. Où il peut même interpréter un Schuhplattler bavarois, où il s’amuse avec les applaudissements après avoir présenté ses explosives pirouettes telle une prouesse circassienne, où il défie un fauteuil à bascule métallique qui pourrait ici représenter les liens entre Dada et Bauhaus, lesquels passaient par un certain Hans Bellmer. Mais on peut aussi, tout simplement, souligner que « Gatomaquia » est à l’origine le titre d’un poème épique burlesque de Lope de Vega, publié en 1634.

« Hijo de puta! »

Sur une musique de cirque d’antan, un chapeau sur la tête et vêtu d’un tablier en cuir, Galván n’en danse qu’à sa tête. Tout de noir vêtu, il n’est pas venu pour s’amuser avec les chats. Il est le chat. Et Alexandre Romanès fait usage de son sifflet, pour appeler ses chats et lancer  au public, en visant Galván: « Il se donne à fond ! » C’est assez ironique en soi. Mais rien ne démontre à quel point le courant est passé entre les deux, que ce running gag du poète circassien qui se permet d’apostropher le danseur d’un joyeux « Hijo de puta ! » Et s’il faut appeler un chat un chat, voilà donc un putain de spectacle, où tout le monde finit debout, en faisant la fête. Sommes-nous vraiment à Paris, là?

Thomas Hahn

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