Assassines – Théâtre de l’Epée de Bois
La Gare de Gilles Granouillet met en scène un homme qui conte fleurette avec galanterie à une femme sur un quai le soir. On glisse lentement des appâts de la séduction à un déchainement féminin entre danse diabolique et violence jusqu’à poignarder l’homme après l’avoir humilié. La femme ici tue les hommes qui l’abordent. Dans Serial Killer de Carole Fréchette, une femme qui collectionne les dépouilles de ses victimes, reçoit pour la première fois chez elle son amoureux pour un diner en tête-à-tête. Plus l’homme s’engage en lui parlant de leur vie future, plus monte en elle le désir de le tuer. La femme ici tue ceux avec lesquels elle commence à nouer une relation. Enfin, dans La Clé de l’ascenseur d’Agota Kristof, une femme enfermée dans un château par son mari à l’attention plus que douteuse, vit une descente aux enfers avant d’assassiner celui qui la torture subtilement. La femme ici tue donc son mari.
Une graduation s’effectue subtilement à travers ces trois pièces, pointant ce qui déclenche l’envie de meurtre et surtout comment s’articule entre le masculin et le féminin ce débordement criminel. L’opposition des univers femmes-hommes est quasiment épluchée, taillée à vif et désossée. Une sorte d’irréversible faux-dialogue s’empare des protagonistes ennemis, à travers des situations où les femmes sont ou se sentent piégées, que ce soit physiquement, psychologiquement du fait des sempiternels modes amoureux ou que ce soit par enfermement sous le prétexte de la possession maritale. Le plateau reste quasiment nu, outre de rares éléments tels qu’une table, un paravent ou un fauteuil roulant. Il est livré à des lumières d’abord grises et blanches puis l’atmosphère s’étire vers des tonalités de plus en plus chaudes, soulignant l’ampleur de la passion destructrice. Le craquement du parquet du théâtre de l’Epée de Bois, ses portes massives et ses lustres de cristal s’intègrent à la mise en scène et sont judicieusement exploités.
L’atmosphère constamment se remplit d’une sensualité mystérieuse et envahissante, qui se mêle à une étrangeté où rôde le crime. Les trois comédiennes sont superbes de présence hautement féminine, envoûtantes et voluptueuses. Elles sont dirigées très finement et parviennent sans le moindre effet extérieur ni soutien de décor ou sonore ni caricature ou cabotinage, à dégager une fascinante emprise telles des mantes religieuses délicates à la chair vampirisante. Leur peau, leurs gestes et leurs visages sont soulignés par des éclairages raffinés et leur jeu, dans un rythme qui impose une ravissante montée d’angoisse, demeure impeccable, Perrine Dauger réalisant une performance dans l’évolution de son personnage. En face, les hommes tiennent leurs rôles avec une grande souplesse, se démarquant par une sincérité non feinte et apportant un contraste d’une grande justesse.
Le crime féminin est un thème rarement développé alors qu’il est en progression à travers le monde. Passé à la loupe théâtrale, il fait ressortir ici avec des écritures différentes et toutes percutantes puis une direction d’acteurs très adroite, déliée et aiguisée, une perspicace étude des mécanismes qui amènent une femme à tuer un homme dans la relation amoureuse, qu’elle y soit poussée par une révolte contre la domination ou contre la peur de la subir et autres engrenages du conscient et de l’inconscient du « deuxième sexe ».
Isabelle Bournat
Assassines
Textes de Gilles Granouillet, Carole Fréchette et Agota Kristof
Mise en scène de Jeanne-Marie Garcia et Etienne Rattier.
Avec Marie Bringuier, Larissa Chlomolova, Perrine Dauger, Jeanne-Marie Garcia, David Lerheun et Etienne Rattier
Jusqu’au 17 novembre 2013
Du jeudi au samedi à 20h30
Samedi et dimanche à 16h
Tarifs : de 10 à 18 euros
Réservations par tél. au 01.48.08.39.74
Durée : 1h20
Théâtre de l’Epée de Bois – Cartoucherie
Route du Champ de manœuvre
75012 Paris
M° Château de Vincennes et navette bus gratuite
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