Arrêtez le monde, je voudrais descendre, au théâtre Monfort
Igor a cofondé dans les années 1990 le célèbre cirque Aligre et le Théâtre équestre Zingaro, pour ensuite créer avec son épouse Lily le théâtre Dromesko. Ils donnent vie ensemble à de nombreuses créations qui semblent n’appartenir à aucun genre, mêlant théâtre, musique, arts du cirque et poésie. Comme à leur habitude, une troupe d’animaux les accompagne et fait partie intégrante du spectacle. Chèvre, cochon, poule, coq, poisson rouge, cigogne et âne occupent la scène au même titre que les comédiens, musiciens et acrobates. Le tout dans un espace scénique et un décor uniques en leur genre.
Un théâtre esthétisant
Dans une salle d’attente rustique située à l’avant-scène, des hommes et des femmes patientent autour d’une table en compagnie de leurs bêtes. L’atmosphère est loufoque, atemporelle, un bruit sourd et constant couvre les voix, les personnages sont un mixte entre ceux des Deschiens et ceux du réalisateur serbe Kusturica. Des bribes de conversations parviennent aux spectateurs, puis surgissent deux étroites cages roulantes où jouent des musiciens, enfermés. La scène offre un tableau à l’esthétique surréaliste et l’on découvre au centre de l’espace un étrange manège qui pivote, s’ouvre en tous sens, se retourne. Il est constitué d’une imposante structure tournante à la machinerie apparente et sera le lieu de succession d’une longue série de « tableaux ». Un violoncelliste y jouera magnifiquement. Il tourne sur lui-même dans une cage, porte des ailes d’anges et il est en caleçon. L’image se veut probablement onirique, mais l’on peine à comprendre pourquoi attifer ainsi le musicien. Passé l’effet d’étonnement, rien ne se passe. On voit ensuite des malades sous perfusion de whisky, une cigogne avec un ruban autour du cou emmenée sur scène, un contorsionniste déambuler dans une poubelle sur fond musical. Les couleurs sépias et vieillies rappellent l’imagerie des films de Jean-Pierre Jeunet. Derrière ce qui se veut atypique, finalement on ne découvre pas grand chose d’innovant. Certes il est très rare de voir un porc fouler les planches, l’apparition est surprenante, mais elle n’est pas pour autant poésie. Le foisonnement de costumes, de décors et d’accessoires ne suffit en rien, et pourtant cette accumulation d’effets visuels constitue à elle seule l’essence d’ Arrêtez le monde, je voudrais descendre. Il n’y a ni la fantaisie, ni la folie et encore moins la gaieté de Kusturica. Le spectacle ne propose au mieux qu’un regard contemplatif qui lasse très vite voire ne captive pas du tout. Le théâtre Dromesko n’ira malheureusement pas au-delà d’un théâtre de l’esthétisme, se contentant de construire un univers sensitif à travers un copié-collé d’images, sans proposer une singularité telle, qu’elle pourrait emmener les sensibilités au-delà du simple entendement. Il semble difficile de s’accomoder alors de cet enchaînement de tableaux avec pour unique toile de fond un propos tantôt caricatural tantôt inexistant.
Une mise en scène de l’autosatisfaction
Cet enchaînement de « visions » est parsemé tout de même de dialogues extraits des œuvres brillantes de Pierre Bourdieu et Roland Dubillard. Cependant, le spectacle ne rend pas compte de la force d’engagement de l’un, ni de l’humour de l’auteur des Diablogues. On entend mal le texte, le regard est attiré ailleurs, on perçoit avec difficulté les mots et encore moins le sens. Évidemment, ce manège qui tourne symbolise « un monde qui perd les pédales », il est le « miroir d’un monde qui parfois n’a plus de sens », les spectateurs sont appelés à « se révolter face à l’absurdité ». Tout cela est criant, mais autant d’effets pour un discours tellement entendu avec pour alibi une poésie emplie de clichés et d’emprunts littéraires, cela n’apporte rien et ennuie. Comment travailler à la perception d’un discours si l’on a rien à montrer d’autre que soi même?
Quant à la scène finale, elle est en tous points à l’image du reste du spectacle. Un véritable manège a pris place sur scène, certains spectateurs à qui l’on avait distribué des tickets sont invités à y prendre place et à tourner, d’autres les regardent assis sur de petites chaises rouges, et les comédiens proposent à ceux des premiers rangs des verres de vin. Une fois de plus la chaleur humaine et la fraternité sont mises en scène sous couvert de spontanéité. Or la convivialité se vit et ne se met pas en scène de manière aussi infantilisante.
Arrêtez le monde, je voudrais descendre est trop vide de sens et complaisant dans son approche scénique pour prétendre atteindre véritablement la sensibilité et l’entendement. A trop vouloir montrer, le théâtre Dromesko oublie qu’il s’adresse à un public qui n’a pas forcément besoin de son regard moralisant et paternaliste pour avoir une vision critique de ses contemporains. Certes le théâtre a cette capacité à alerter, à pointer les dysfonctionnements d’une société, mais il devient ici plus simple accusateur que réflexion profonde, plus imagerie que pur divertissement.
Cassandre Bournat.
Arrêtez le monde, je voudrais descendre
Conception mise en scène et scénographie Igor et Lily, composition musicale Alexander Balanescu, textes Pierre Bourdieu (extrait de La misère du monde) et Roland Dubillard (extrait de La Pluie issu de l’œuvre Les Diablogues et autres inventions à deux voix), jeu et danse Lily, Igor, Violeta Todo-Gonzales, Jean-Marc Stéhlé, Monique Brun, Baptiste Blegbo, Zina, Louis Yerly, interprétation musicale Lily (chant), Igor (accordéon), Sandor Berki (contrebasse), Jenö Sorös (cymbalum), Janos Sandor (violon), Revaz Matchabeli (violoncelle)
Du 2 février au 6 mars
Du mardi au samedi à 20h30
Réservations : 01.56.08.33.88
Plein tarif 26e, tarif réduit 18e (-26 ans, +65ans, personnes handicapés, collectivités, groupes à partir de 8 personnes)
Le Monfort Théâtre
Parc Georges Brassens
106, rue Bançion
75015 Paris
Métro Porte de Vanves (ligne 13), Bus 58, 62, 89, 95, Tramway T3
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