“Armide” à l’Opéra Comique : une femme puissante cède à l’amour
Christophe Rousset revient à l’Opéra Comique, deux ans après avoir monté l’ « Armide » de Gluck, pour diriger avec son ensemble « Les Talents Lyriques » l’opéra de Lully. Incarné par de jeunes et talentueux artistes dans une mise en scène stylisée de Lilo Baur avec danseurs, le spectacle déploie sa splendeur musicale et son humanité apaisante. Un vrai bonheur.
Le chef-d’œuvre de Lully
Quelle tristesse de voir sa dernière tragédie lyrique boudée par Louis XIV en 1686 ! A cette époque, le célèbre compositeur Lully est âgé de 54 ans mais est passé de mode auprès du roi. Sa vie dissolue fait scandale, mais son talent et son inventivité musicale forcent toujours le respect. Il faut avouer que l’opéra qu’il compose, « Armide », qui sera intégralement repris par Gluck, se déroule au temps des croisades et est inspiré de La Jérusalem délivrée du Tasse. Exit les dieux et autres autres créatures mythologiques. L’intrigue se resserre simplement autour d’une magicienne musulmane, Armide, puissante et redoutable, qui décide de soumettre le seul héros guerrier chrétien qui n’a pas encore succombé à son mystérieux charme, Renaud. Le sortilège opère, et l’histoire d’amour et de passion se noue. Mais soudain, outrée de se voir ainsi alanguie par un sentiment aliénant, de voir sa liberté confisquée par cette passion soudaine, la belle Armide décide de faire appel à la Haine, qui à l’instar de la Gloire ou de la Sagesse, est une créature qui l’aide à surpasser ses mauvais penchants. Hélas, le répit sera de courte durée car la jeune femme ne parvient pas à échapper à sa passion amoureuse.
Une partition entêtante
Récitatifs subtils, écrits avec une poétique délicatesse par le librettiste Quinault, passacaille d’une magistrale maîtrise, sur 330 mesures, qui s’est imposée comme un modèle absolu, fluidité des transitions et des changements de tempo, reprise de l’orchestre qui navigue dans une architecture musicale grandiose, riche et surprenante, ménageant sans cesse l’intime des émotions à la grandiloquence du faste. Le chef et claveciniste Christophe Rousset est le vaillant capitaine de cet attelage qui met royalement la musique au service de l’action dramatique. Cadences respectées avec précision et tonus, couleur de chaque instrument baroque mis en valeur, chaleur de la basse obstinée, dans un spectacle où musique, danse et théâtre opèrent une symbiose. D’ailleurs, les danseurs, choregraphiés par Cláudia de Serpa Soares, composent un paysage onirique, créatures vêtues de gris qui se métamorphosent en gazon, en plantes ou en nuages. Ils se mêlent aux chœurs en constituant des grappes mouvantes qui épousent, entourent, protègent des affres de la souffrance, de l’enthousiasme ou du désespoir Armide et son amant Renaud.
Une belle distribution
Dans la sobre mise en scène de Lilo Baur et les subtils éclairages de Laurent Castaing, l’incarnation des personnages est à la hauteur du merveilleux de l’intrigue. Ambroisine Bré triomphe dans le rôle d’Armide, par son engagement dramatique et sa maîtrise vocale, la chaleur de ses aigus et la justesse des médiums, sa diction souple et sa sensualité spontanée. La mezzo irradie et habite chaleureusement le plateau, donnant à son personnage une belle et radieuse complexité. A ses cotés, Florie Valiquette, la Gloire, et Apolline Raï-Westphal, la Sagesse, ne dépareillent pas, vivacité du timbre et incarnation pleine d’effervescence pour ces ravissantes sopranos. Cyrille Dubois campe un Renaud somptueux d’élégance et de délicatesse, timbre langoureux et modulations harmoniques, prêtant une vraie présence au personnage malgré ses apparitions mineures. Dans le rôle d’Hidraot, Edwin Crossley-Mercer est parfait, tout comme Anas Séguin dans celui de la Haine, subtil et généreux. Lysandre Châlon et Enguerrand de Hys, les deux amis de Renaud, et Abel Zamora, l’amant fortuné, complètent avec succès cette distribution idoine qui fera le bonheur de tous les amateurs de musique baroque.
Hélène Kuttner
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