“Ariodante” : ode à l’amour au Royaume d’Écosse à Garnier
Pour monter l’un des plus beaux opéras de Haendel, créé le 8 janvier 1735 au Théâtre de Covent Garden à Londres, le metteur en scène Robert Carsen place l’intrigue amoureuse en plein cœur d’une cour d’Écosse qui fait étrangement écho à la dynastie actuelle des Windsor. Sur un fond d’intrigues aussi amoureuses que politiques, la magnificence d’une musique céleste est servie royalement par un casting de voix parfaites et l’orchestre de l’English Concert dirigé par son chef Harry Bicket. Somptueux.
Et Dieu créa Haendel
Georg Friedrich Haendel, musicien surdoué né à Halle en Allemagne, fut le premier à faire connaître l’opéra italien au public de Londres où il s’installa définitivement en 1712. Ariodante est la première œuvre qu’il présente à Covent Garden en 1734 et on y retrouve tout ce qui fait le succès du compositeur : un opera seria fait de récitatifs et d’arias dans lesquels les personnages déploient la richesse de leur éventail émotionnel, des chœurs réduits, une intrigue très simple, faite d’amour, de rivalités et de jalousies. Mais la musique, d’une richesse symphonique somptueuse, habite les âmes et colore les mots des passions des plus vertueuses aux plus maléfiques.
L’histoire, c’est celle qui unit Ariodante, un aristocrate, à Ginevra, la fille du roi d’Écosse. Mais, comme dans les séries, Ginevra est aussi aimée de Polinesso, le Duc d’Albany dont la jolie Dalinda, dame d’honneur de Ginevra, est secrètement amoureuse. Ajoutez Lurcanio, le frère d’Ariodante, qui est secrètement épris de Dalinda, et vous aurez les principaux protagonistes d’une intrigue qui ne parle que d’amour, chanté, célébré ou plaint, ou de trahison. L’ambition démoniaque de Polinesso le poussera à noircir la réputation de Ginevra pour rompre son mariage et la récupérer.
Une mise en scène brillante
L’intelligence de Robert Carsen est de servir le plus fidèlement l’histoire en illustrant le mieux possible les situations et les motivations des personnages. Il le fait, comme toujours, avec une belle délicatesse, mais aussi des touches d’humour et de causticité, comme lorsque des hordes de journalistes-photographes surgissent lors de chaque événement princier, mariage ou catastrophe. La scénographie magistrale que le metteur en scène co-signe avec Luis F. Carvallho dessine les espaces princiers, l’immense chambre de Ginevra aux boiseries vert sapin autour du lit à baldaquin, la salle du trône qui se déploie en profondeur entre des rangées d’armures flambantes et des têtes de cerfs surgissant des hauts murs, une géométrie aussi régulière qu’un damier d’échecs, mais qui fait le lit de tous les débordements passionnels. La chorégraphie signée Nicolas Paul, qui multiplie les Ariodante et les Polinesso dansant en kilt écossais dans le songe cauchemardesque de Ginevra, condamnée par une immonde rumeur, concourt à l’heureuse de cette production.
Distribution parfaite
Quel beau casting de jeunes chanteurs, qui enflamment avec ardeur les arias et déploient autant de nuances musicales que de variations émotionnelles ! L’Ariodante de la jeune Emily D’Angelo, mezzo soprano au physique totalement androgyne, saisit le spectateur par la douceur et la subtilité de ses variations chromatiques. Elle est bouleversante dans le “Scherza infida”, véritable chant funèbre qui fait du personnage une silhouette fantomatique emplie d’une douleur inconsolable. Et on comprend que Haendel, autant que par les intrigues politiques, déclare à travers ses personnages un chant d’amour absolu, fait de la jalousie et de la blessure un enjeu vital, romantique avant l’époque. Mélodies hypnotiques, lignes de chant répétitives et obsédantes comme la passion. Olga Kulchynska, dans le rôle de Ginevra, répond à son fiancé par une présence virevoltante avec des aigus veloutés, qui manquent au début de projection, mais qui dans la douleur se révèlent tragiquement bouleversants. Dans le rôle ingrat de Dalinda, l’amoureuse manipulatrice, Tamara Banjesević, physique affriolant, emporte le public avec un timbre de soprano clair et sensuel, coquin et renversant. Cette fille a tout pour elle, elle est magnifique. Tout comme l’excellent Christophe Dumaux, contre-ténor plus que formidable dans le personnage satanique de Polinesso, pervers à souhait. Matthew Brook campe avec gravité et chaleur le Roi, Eric Ferring est un épatant et rouquin Lurcanio, frère d’Ariodante, ressemblant comme un jumeau à l’actuel Prince Harry. Tous brillent sous la direction d’orchestre attentive et généreuse d’Harry Bicket et son orchestre The English Concert et ses musiciens sur instruments d’époque très applaudis.
Hélène Kuttner
Articles liés
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...