« Ariane à Naxos » ou la sublime fusion entre opéra et théâtre au TCE
Le chef Jérémie Rhorer reprend la direction musicale de cet opéra de Richard Strauss créé dans la mise en scène de Katie Mitchell au Festival d’Aix en Provence. Avec une nouvelle et éclatante distribution et l’Orchestre de Paris, le livret d’Hugo von Hofmannsthal, remanié par le dramaturge anglais Martin Crimp, prend une nouvelle vigueur et la musique, quintessence du romantisme et de la modernité, réussit la fusion entre lyrisme, comédie et mythologie.
Dans la chaudière de la création
Quelle oeuvre déroutante, quel opéra rocambolesque ! Concoctée par le compositeur Richard Strauss et le poète Hugo von Hofmannsthal en 1916, cette « Ariane à Naxos » est précédée d’un prologue ubuesque où un jeune compositeur s’efforce de soumettre au maître de maison qui l’accueille richement sa commande musicale, alors qu’un autre divertissement, vulgaire à souhait est prévu et que tous les intervenants, comédiens et chanteurs, n’en font qu’à leur tête. Katie Mitchell et sa scénographe Chloe Lamford font donc courir tous les personnages dans un énorme appartement, avec boiseries art nouveau de style viennois, saisis dans un tourbillon d’effervescence hystérique pour marquer les incompréhensions et les dissensions entre mécène et artistes. Le théâtre est ici omniprésent, tous les personnages sont dessinés au cordeau, avec une précision cinématographique et une gestuelle chorégraphique, Jean-Sébastien Bou en maître de musique survolté qui grimpe aux rideaux, Marcel Beekman en maître de ballet en talons aiguilles, et l’élégante mezzo Kate Lindsey en compositeur inspiré, d’une classe folle.
Des comédiens survoltés
Pendant ce temps, les comédiens survoltés ne tiennent pas en place, bouillant d’impatience dans la pièce attenante pour un autre opus kitsch à souhait. L’histoire d’Ariane, paralysée de douleur depuis l’abandon de Thésée, mais réveillée de manière inattendue à Naxos par Bacchus. Les trois merveilleuses nymphes, d’abord blondes puis brunes comme des grecques, Beate Mordal (Naïade), Lucie Roche (Dryade) et Elena Galitskaya (Echo) sont tout simplement formidables, portant la beauté et la richesse mélodique de la partition à leur sommet. Il y a d’ailleurs dans cette seconde partie autant d’humour, de parodie, de facéties que dans le prologue, mais la comédie ici, jouée par Zerbinette, sensationnelle Olga Pudova,11 minutes non stop de vocalises acrobatiques et une vitalité tonitruante, Arlequin (Huw Montague-Randall), Brighella (Jonathan Abernethy) et Scaramouche (Emilio Pons) se conjugue avec la non moins intense poésie lyrique d’Ariane, incarnée par la wagnérienne et sombre Camilla Nylund. Choc des mondes, choc des cultures, humour contre tragédie, l’opéra déroule donc ses soubresauts de surprises, comme autant de mises en abîmes de la mythologie. Faut-il prendre au sérieux le désespoir d’Ariane, femme entre toutes les femmes, abandonnée par son homme ? Bien sûr clame Hofmannsthal, qui analyse à fond la psychologie de ses personnages et leur destine une prose aérienne, douloureuse, superbe. Strauss semble s’en amuser, tout en composant une musique céleste, encore romantique et déjà moderne, qui surfe magiquement sur les tonalités, passant du majeur au mineur, grimpant sans souffler vers les sommets des aigus.
Exigences vocales
Naturellement, cette gymnastique vocale et orchestrale, qui nécessite technicité, nuances et puissance, se révèle des plus exigeantes pour les chanteurs qui abordent ce répertoire avec une belle vigueur. Le ténor Robert Saccà campe avec une belle chaleur un Bacchus heureux et fier de l’être. Zerbinette est vêtue d’une robe lumineuse et clignotante, signée Sarah Blenkinsop, qui a aussi façonné les ceintures lumineuses des boys, tandis que les éclairages de James Farncombe jouent sur la rythmique experte de Strauss. Les cordes vibrent, mais passent le relais aux vents qui glorifient les tonalités comme chez Berlioz. C’est un festival de sons et de couleurs, mené par la baguette de Jérémie Rhorer, nous offrant ainsi un spectacle total et réussi.
Hélène Kuttner
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