Anushka Rasovsky : “Tous les jours, une nouvelle forme de drag se crée, différente et unique”
Entretien avec Anushka Rasovsky, drag queen de la scène bordelaise. Ambitieuse, persévérante et empathique, cette forte personnalité prône la diversité et l’authenticité.
Comment as-tu découvert le monde des drag queens ?
Je l’ai découvert sans vraiment le savoir. Avant, j’étais modèle androgyne et au fil des shootings, j’ai commencé à rencontrer des personnes du milieu du spectacle. J’étais très externe à cet univers, je le voyais de loin. Je n’avais pas encore posé de nom dessus. J’avais dû entendre le terme “drag” une ou deux fois seulement. Mon père me le mentionnait parfois lorsqu’il me parlait du film Priscilla, folle du désert, mettant en scène trois drag queens. C’est tout. J’ai réellement découvert l’art du drag en 2013, lors de la sortie de la saison 5 de RuPaul’s Drag Race.
Quelles facettes de cet univers t’ont le plus plu ?
J’ai trouvé la plateforme de RuPaul’s incroyable. Elle a permis à ces nouveaux artistes de s’intégrer dans un monde où il est difficile de se faire accepter comme tel. Ce qui m’a le plus attiré, c’est cette liberté d’expression. Elle donne le pouvoir de s’affirmer comme on est, d’assumer ses choix, que cela plaise aux autres ou non. On peux s’exprimer à travers les choix de chansons, de tenues ou encore de make up. C’est très vaste et c’est ça qui rend la chose si belle. Tu es maître de tes paroles et de tes opinions, c’est un réel pouvoir. Mon personnage me permet justement de dégager cette forme de pouvoir que je ne possède pas en temps normal. Cette liberté est presque illimitée dans la mesure où il subsiste des sujets que l’on ne peut ou ne doit pas aborder.
Selon toi, le drag est-ce un art ? Pourquoi ?
Je pense que le drag est un art complet car il lie une multitude d’arts spécifiques. L’art du maquillage drag par exemple, est complexe et nécessite de vraies compétences. Ce sont des techniques méticuleuses et difficiles que beaucoup d’artistes ne maîtrisent pas puisqu’il faut surtout réaliser des changements de morphologie grâce au contouring. On retrouve également l’art de la danse, beaucoup de drag queens chorégraphiant elles-mêmes leurs danses. La mode rentre aussi dans cette notion d’art, avec toutes les créations et designs de vêtements. En réalité, l’univers de la drag queen est un univers multi-arts. Participer à l’émission RuPaul’s représente un vrai challenge puisqu’elle requiert un panel de compétences artistiques extrêmement large.
Maîtrisais-tu déjà ces divers arts ? Comment s’est passé ton apprentissage ?
Non, je ne maîtrisais pas du tout. En tant que modèle androgyne, je travaillais avec de grandes agences à Paris et c’est grâce aux make-up artists professionnels que j’ai développé une vraie passion pour leur art. Lorsqu’on me maquillait, je restais silencieux et j’observais. Je retenais chaque technique, geste et matériel utilisés pour tel ou tel effet. Au final je me suis formé en analysant, en regardant, et surtout en pratiquant. Je ne me considère pas danseur mais je suis capable de retenir une chorégraphie entière. Et j’adore ça ! Même si je suis de mauvaise humeur, il suffit de jouer Hot Stuff de Donna Summer et tu peux être sûr que je vais me mettre à danser !
Comment décrirais-tu ton syle ?
Comme dirait Olivia Lux, je suis une “Polite Diva”, soit une “diva polie”. Mon style est guidé par mon exigence : il faut que ce soit classe et propre. Mon drag essaie de créer l’illusion en proposant ma définition personnelle de la femme. Je veux que mon nom résonne aussi bien que ceux de mes idoles, de vraies divas. Quand tu entends leur nom, tu penses à leur réussite, à leur pouvoir et à leur incroyable voix.
Avais-tu des appréhensions lors de tes débuts en tant que drag ?
J’avais beaucoup d’appréhensions. Ma première étant que j’étais peu familier du milieu LGBTQIA+, j’étais totalement perdu. Mais le plus compliqué quand on commence, c’est cette notion de légitimité. Certains t’invalident car tu ne te conformes pas à certaines règles ou méthodes connues du milieu. Avant de me lancer dans cet univers, je me demandais comment faire du drag. J’ai alors posé la question à une drag que j’admire, Alyssa Edwards : “Just do it”. Cette réponse a eu un impact énorme sur moi. J’ai compris qu’il fallait que je reste moi-même, sans céder aux clichés qu’on voulait m’imposer. On m’a reproché de ne pas cacher mes sourcils par exemple. Mais ce n’est pas moi, ce n’est pas mon personnage. Je pars du principe que toute forme de drag est valide. La drag queen est très médiatisée et montre, à tort, une forme de drag classique et unanime qui installe des attentes codifiées. Or tous les jours, une nouvelle forme de drag se crée, différente et unique. Et c’est ça qui est beau.
Quels sont les aspects négatifs de l’envers du décor ?
Certaines personnes se permettent des contacts totalement déplacés et irrespectueux envers nous. Elles vont se permettre de te toucher des parties du corps parce que “c’est marrant, c’est drôle “. Il y a aussi une forme de compétition dans cet univers où il est compliqué de gravir les échelons et de se trouver une place. Des amitiés ont été détruites à cause de cette rivalité malsaine, c’est dommage. Dans certaines villes, on perçoit une séparation du public, c’est-à-dire qu’il existe plusieurs publics, chacun attaché à un type de drag. Il y a des préférences, certes, mais c’est aussi dû à une forme de conflit interne. On devrait pourtant avoir une sorte de soutien collectif !
Comment décrirais-tu Anushka aujourd’hui ?
Quand on me rencontre, on me trouve très froid alors qu’en réalité mes proches savent que j’ai le cœur sur la main et que je m’investis à fond dans chacune de mes relations. Au départ, c’était compliqué puisque cela a créé une forme de rejet où l’on m’a collé une étiquette. La mienne était “Belle. Juste belle”, jusqu’à ce que l’on découvre mon talent à travers mes performances. Je suis une vraie acharnée du travail et surtout, une grande perfectionniste. Chaque performance est réfléchie, préparée. Anushka ose tenter tout ce que je n’arrive pas à faire en temps normal. Elle est multifacette. Je veux pouvoir réaliser à la fois une performance émotive puis plus tard, une performance fun où je peux me déchaîner sur la piste de danse. J’aime créer cette diversité, pouvoir proposer quelque chose de différent et original. Certaines drags préfèrent privilégier l’émotion dans leurs performances. C’est un choix, une ambition, c’est propre à chaque artiste. Lors de mes prestations, mon but est d’impressionner le public. Je veux créer un impact, les faire vibrer et les émouvoir. Ces shows sont bénéfiques pour nous, certes, mais on le fait principalement pour ce public qui nous donne énormément d’amour et qui nous encourage. Je suis dans une optique où je ne veux pas décevoir mon public. C’est inconcevable pour moi de présenter deux fois la même performance. Le nouveau, c’est essentiel.
Quels sont les projets dont tu es le plus fier ?
Le premier projet est sans doute celui que j’ai le moins aimé ; notre mission étant de réaliser un show sur un ring de boxe, entourées de boxeurs peu ouverts d’esprit ni enclins à découvrir l’univers drag. C’était compliqué psychologiquement mais je suis fier car on a réussi à retourner la situation à notre avantage. On ne voulait pas leur laisser la satisfaction de quitter le projet, on s’est alors données à fond. Le second, c’était lors de la première soirée blind test organisée dans un nouveau bar. On m’a donné la tâche d’animer la soirée. C’était un rôle qui me terrorisait mais j’ai décidé de me lancer et, à ma grande surprise, j’ai pris un plaisir fou à le faire. J’étais fier de m’être prouvé que rien n’était impossible.
Quels sont tes projets futurs ?
L’un de nos projets se fait avec l’aide d’un théâtre. On va créer un show, c’est assez innovant pour les drags. Nous sommes également en fin de négociation pour monter des dîners spectacles. Enfin, un autre projet devrait voir le jour : une comédie musicale basée sur un film très connu.
Suivez Anushka sur son compte Instagram.
Propos recueillis par Montaine Matuzac
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