Antigone Sr de Trajal Harrel – Festival d’automne 2013 – Centre Pompidou
Quand on émet une idée qui mélange deux univers à priori incompatibles, l’art retrouve sa fonction qui est de suggérer de penser l’impensable. Et ça change le regard sur le monde. Chez Trajal Harrel, ça prend une tournure aussi (faussement) naïve que (faussement) gentillet. Car cette question à cent balles, il la pose comme suit : « Et si Yvonne Rainer, Steve Paxton et autres, au moment où ils déconstruisaient la danse à la Judson Church, avaient été ‘visités’ par l’esprit bling bling et black du Voguing? » Autrement dit, si on tentait aujourd’hui, à titre posthume, une fusion entre les fashion victims et un art de la scène décrié comme élitiste? Si on jouait, à bon escient, avec les codes de la culture pop et ceux de la performance ? La réponse est une série de cinq créations ludiques et libres, totalement différentes les unes des autres, déclinés comme les tailles du streetwear. Ca commence par un XS, à savoir un solo, et va jusqu’au XL, un cabaret déjanté où performance, ballet, costumes de revue détournés et autres folies bravent la bienséance culturelle.
Cette prise de liberté artistique dévastatrice sous-tend la série « Twenty Looks or Paris is Burning at the Judson Church ». Pourquoi Paris ? Parce que c’est tout de même aux bords de la Seine que cet enfant terrible américain trouve de l’écoute et du soutien pour son projet. Et ça vaut d’autant plus quand il chevauche les préoccupations du Vieux Continent par rapport aux origines de la pensée morale et politique, au sens noble du terme. Il s’intéresse donc à Antigone. Pour un enfant du « Nouveau Monde » ce n’est qu’un retour à la part grecque ses origines culturelles. « Paris is Burning… » ? Oui, en quelque sorte, puisque c’est ici Antigone qui est visitée par l’esprit du Voguing, par la contre-culture, la culture gay et noire, les rêves de mode et de glamour… La version « L » de la série, aussi intitulée « Antigone Sr », avec ses cinq danseurs sur le plateau (dont Harrrel) et sa durée de plus de deux heures, établit un lien entre le Clubbing et la tragédie antique. De quoi horrifier les puristes de la tragédie, alors que Harrel renvoie à la démesure inhérente à la tragédie antique.
Cependant, il s’agit avant tout de remettre en question les catégories hiérarchisantes qui déclarent légitime telle forme d’expression pour déclarer non grata telle autre. Il faut voir le travail de Harrel pour trancher, car ses créations alimentant les discussions et bousculent les habitudes.
Thomas Hahn
Antigone Sr. / Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church (L)
Avec Trajal Harrell, Stephen Thompson, Thibault Lac, Rob Fordeyn et Ondrej Vidlar
Décors : Erik Flatmo // Lumière : Jan Maertens
Son : Robin Meier et Trajal Harrell // Dramaturgie : Gérard Mayen
Du 26 au 28 septembre 2013 à 20h30
Tarifs : 14€ et 18€
Durée : 2h15
Centre Pompidou (niveau -1)
Place Georges Pompidou
75004 Paris
M° Rambuteau ou Hôtel de Ville
www.festival-automne.com
[Photo : Ian Douglas]
Articles liés
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...
“Les Imitatueurs” à retrouver au Théâtre des Deux Ânes
Tout le monde en prend pour son grade, à commencer par le couple Macron dans un sketch désormais culte, sans oublier Mélenchon, Le Pen, les médias (Laurent Ruquier & Léa Salamé, CNews…), le cinéma, la chanson française (Goldman, Sanson,...