Anthony Roques : “Nous sommes prêts à retourner sur scène et à retrouver nos publics”
Danseur, chorégraphe et performeur, Anthony Roques aime collaborer avec d’autres artistes sur des projets protéiformes traitant de l’actualité. Rencontre.
Pourrais-tu te présenter ?
J’ai 27 ans. J’ai commencé mon parcours au Conservatoire de Nice, puis au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (cursus contemporain). Après mon diplôme de danseur professionnel (2015), j’ai intégré le Ballet Junior de Genève pour une saison afin de me professionnaliser. Depuis, je danse principalement pour Michel Kelemenis et Gilles Vérièpe. Je crée également des formes chorégraphiques et performatives en collaboration avec des collectifs et artistes indépendants. J’ai notamment pu proposer Dansomanie en 2017 pour le Talk Bad Taste, évènement dirigé par Camille Frasca et Antoine Py. Je collabore avec le peintre Jérôme Liniger et le photographe Nicolas Jacquette. Plus récemment, je chorégraphie La Dernière, projet commun avec le Collectif Non Surtaxé.
Quelles sont les étapes marquantes de ta carrière ?
D’abord, je dirais ma participation au programme de recherche et composition chorégraphique Prototype IV organisé par la Fondation de l’Abbaye de Royaumont en 2017, en tant que danseur, sous la direction d’Hervé Robbe. À cette occasion, est né le prototype RoqueStar, désormais Protostar, un solo chorégraphié par Charlie-Anastasia Merlet de la compagnie LesGensCharles. Ce solo joue du in et du off, des va-et-vient entre la présence scénique et les coulisses, sur une partition de Ravel, vertigineuse car gracieuse et chaotique. Le public y découvre entre autres la brillance émanant du corps d’un artiste. La collaboration avec Charlie a été un réel plaisir pour la qualité des questionnements sur la notion de virtuosité.
Une autre étape clé : la rencontre avec Michel Kelemenis avec qui j’ai travaillé pour la première fois en 2017, lors de ma reprise de rôle dans Rock & Goal, pièce jeune public qui interroge les stéréotypes de genre dans le milieu sportif et de la danse. Depuis, j’ai dansé d’autres pièces. Michel Kelemenis crée des pièces qui donnent aux plus petits des clés de lecture sur des questionnements actuels. En parallèle des tournées de ses pièces, il y a un véritable travail d’ateliers mené auprès des classes. Ce sont des occasions en or pour initier les enfants à la danse.
Quelle pièce t’a le plus marqué en tant qu’interprète et pourquoi ?
Coup de Grâce (2019), pièce tout public chorégraphiée par Michel Kelemenis qui traite des attentats de 2016, mais pas de manière frontale. En fait, ce terme ambivalent de « coup de grâce » est un clair-obscur, car durant cette pièce assez sombre, on questionne la grâce et on traverse l’effroi. La pièce se conclut sur une note d’espoir, un hymne à la vie. Quand on vit un événement de ce genre, de près ou de loin, on garde tous en mémoire le souvenir très clair de ce qu’on faisait et où on était à ce moment-là.
Quelle pièce t’a le plus marqué en tant que spectateur et pourquoi ?
Le centenaire des Ballets russes en 2009. Cent ans auparavant, le mécène Serge de Diaghilev a pris l’initiative de regrouper les meilleurs artistes de son temps : Nijinski, Picasso, Coco Chanel. Une effervescence dans le monde de la danse, dont le mot d’ordre était « Etonne-moi ! ». Pour cette célébration, le Grimaldi Forum de Monaco avait programmé des formes revisitées, comme Le Spectre de la Rose ou Le Sacre du Printemps, ou bien des créations ad hoc reprenant un certain angle envisagé à l’époque. Ça a été le cas pour la pièce Spectre du chorégraphe Olivier Dubois, un mélange original entre le morceau classique de Carl Maria von Weber et la musique disco Supernature de Cerrone. Sur ces notes absolument inédites, les danseurs s’emportaient dans une boucle chorégraphique jusqu’à l’épuisement, tandis qu’une délicate fragrance de rose était diffusée dans la salle. Quelle idée exceptionnelle que de convoquer l’odorat au moment du climax ! C’est un sens qui aide à imprimer plus intensément les souvenirs dans la mémoire.
Je pense avoir été inconsciemment marqué par cette expérience. D’ailleurs, c’est un élément qu’on retrouve aussi dans mon actuel projet la Dernière, qui traite d’Alzheimer. Cette maladie devient un moteur pour parler de souvenirs, de mémoire, de transmission, d’héritage. On a donc décidé de préparer un couscous sur scène qui, comme une horloge au théâtre, va rythmer le déroulement antéchronologique de la pièce : du stade le plus puissant jusqu’au moment où le patient est déclaré atteint. À travers les odeurs familières de ce plat, fortement symbolique pour un des membres du groupe, on veut évoquer la richesse d’un héritage personnel très chargé en émotions.
Quelles incidences cette période de crise sanitaire a-t-elle eu sur les intermittents ?
L’annonce du confinement a été un coup d’arrêt pour tous. En ce qui concerne les intermittents du spectacle, l’annulation des dates programmées entre mars et juin a créé beaucoup d’appréhension, surtout pour ceux qui, à ce moment-là, n’avaient pas encore regroupé leurs heures ou, encore, ceux qui étaient en train de les cumuler pour une première demande. Cette situation a mis en lumière des failles, d’où la nécessité de faire une demande d’année blanche auprès du gouvernement. Les réseaux sociaux ont été un outil important pour faire entendre notre voix et sensibiliser les gens sur l’importance de cette requête. On s’est rendu compte que beaucoup pouvaient se méprendre sur ce régime. Et malgré des accords avec le gouvernement, beaucoup d’incertitudes demeurent.
Personnellement, comment as-tu vécu cette période ?
Le premier confinement a stimulé la créativité sur les réseaux sociaux, des expérimentations, comme la publication de vidéos d’improvisations, de montages, de vidéos humoristiques et de petits formats. Relevons aussi des initiatives de cours de danse, yoga, sport, via Zoom ou même un festival de danse On danse chez vous crée par Mehdi Kerkouche. Je reconnais que ces formats interactifs ont eu beaucoup de succès et ont témoigné d’une belle entraide les premiers mois.
Une forme de cohabitation subsistera sans doute, une fois sortis de cette crise. Or, c’est insoutenable sur le long terme et, en tout cas, ils ne peuvent perdurer en tant que tels. Par exemple, pendant le premier confinement, nous devions nous maintenir en forme. C’est toujours le cas aujourd’hui : nous sommes prêts pour la réouverture des salles. Toutefois, le fait de se retrouver depuis des mois et des mois dans cet état de préparation constante, ou depuis l’été, en studio pour répéter ou créer, l’absence de représentations a causé un véritable essoufflement, psychologique et physique. On a envie de retourner sur scène, une véritable scène, et de retrouver les publics.
As-tu réussi à travailler depuis l’été 2020 ? As-tu expérimenté des nouvelles formes de création plus digitales ?
Cet été, on a pu retrouver les studios, dans le respect des mesures sanitaires, et la scène à la rentrée jusqu’au deuxième confinement. Depuis, on a la possibilité de travailler en résidence de création ou en studio ce qui a vraiment fait beaucoup de bien à tous. À côté de ça, je me suis effectivement lancé, pour le plaisir, dans la création de courtes vignettes vidéo (avec notamment l’intervention de la voix off de l’écrivain Thomas Scotto): dans Flashs Chorégraphiques, j’improvise des petits morceaux inspirés des codes de la culture pop, comme l’utilisation d’une perruque carré blond qu’on retrouve beaucoup dans les clips et visuels d’artistes pop et rap. L’occasion d’approfondir les techniques de montage vidéo, l’utilisation de fonds verts, etc. Ça m’a paru aussi un moyen intéressant pour continuer à donner du sens à ce que je fais tout en partageant sur les réseaux quelque chose qui se veut léger et amusant. Je vais donc poursuivre ces formats en complément.
Quels sont tes projets ?
La nouvelle création jeune public de Michel Kelemenis. Légende met en scène un monde post-apocalyptique dépourvu d’animaux, dont seule une légende raconte encore leur existence sur terre. Ça sera alors aux quatre personnages de devoir rassembler les indices pour présenter, à la fin, un spectacle à son sujet. Un spectacle dans le spectacle.
Je travaille également pour Simon Feltz de la compagnie 5.4 sur une pièce nommée Echo qui traite de la communication non verbale dans les différents types d’interaction et, donc, de ce que le corps est capable de dire en parallèle du discours oral.
Enfin, je poursuis la création de mon projet personnel avec le Collectif Non Surtaxé constitué de trois scénographes talentueux : Morgane Benyamina, Marine Gambardella et Dylan Haond. Nous travaillons à mêler chorégraphie, scénographie, objets plastiques, musique et vidéo.
Qu’attends-tu du futur ?
Dans cinq ans, je voudrais continuer d’être sur scène et de créer des formes chorégraphiques et performatives, mais j’ai surtout envie de multiplier les projets avec différents mediums et croisements artistiques. Je rêve d’être programmé au Festival d’Avignon et/ou Chaillot !
Plus tard, j’envisage d’avoir un lieu pour où pouvoir travailler avec ma compagnie et accueillir d’autres artistes. Je voudrais aussi garder ce lien fort avec les nouvelles générations, continuer à leur donner des outils de compréhension et à partager mon amour pour la danse, afin qu’ils restent curieux et créatifs. Car mon souhait le plus cher est de voir la culture rayonner encore plus intensément qu’elle ne l’a jamais été et qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Retrouvez le travail d’Anthony Roques sur Instagram et YouTube .
Propos recueillis par Stella Spanu
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